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PREMIÈRE ENNÉADE.

vie est plus intense parce qu’au lieu de se mêler au sentiment elle se concentre en elle-même.

XI. Peut-être quelques-uns nous objecteront-ils que l’homme placé dans l’état dont nous parlons ne vit pas véritablement. Nous leur répondrons qu’il vit, mais qu’eux, ils sont incapables de comprendre son bonheur ainsi que sa vie. Refuseront-ils de nous croire ? Dans ce cas, nous leur demanderons à notre tour s’il n’est pas convenable qu’après avoir accordé que cet homme vit et est vertueux, ils examinent si dans de pareilles conditions il n’est pas heureux. Nous leur demanderons aussi de ne pas commencer par le supposer anéanti pour considérer ensuite s’il est heureux, de ne pas s’arrêter uniquement à le chercher dans ses actes extérieurs après avoir admis qu’il tourne toute son attention sur les choses qu’il porte en lui-même, en un mot de ne pas croire que le but de sa volonté soit dans les objets extérieurs. En effet, ce serait nier l’essence même du bonheur que de regarder les objets extérieurs comme des buts de la volonté de l’homme vertueux, que de prétendre que ce sont là les objets qu’il désire. Sans doute il voudrait que tous les hommes fussent heureux et qu’aucun d’eux n’éprouvât aucun mal ; cependant, quand cela n’arrive pas, il n’en est pas moins heureux. Dira-t-on enfin que pour l’homme vertueux il serait déraisonnable de former un pareil vœu (parce qu’il est impossible qu’il n’y ait pas de maux ici bas[1] ? C’est évidemment reconnaître avec nous que la volonté de l’homme vertueux a pour seul but la conversion de l’âme vers elle-même[2].

XII. Si l’on réclame des plaisirs pour l’homme vertueux, ce ne sont pas sans doute ceux que recherchent les débauchés ni ceux qu’éprouve le corps. Ces plaisirs ne pourraient lui être accordés sans souiller sa félicité. On ne demande pas non plus sans doute pour lui des excès de

  1. Voy. Enn. I, liv. viii.
  2. Voy. Enn. I, liv. ii, § 4.