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LIVRE QUATRIÈME.

de tout des qualités et des choses qualifiées. Dans ce cas, la quantité est une qualité aussi bien que l’essence. Chaque chose qualifiée doit posséder une qualité. Il est ridicule de prétendre qu’une chose qualifiée est qualifiée par ce qui n’a pas de qualité soi-même, par ce qui est autre que la qualité.

Dira-t-on que cela est possible parce que être autre est une qualité ? Nous demanderons alors si la chose qui est autre est l’altérité même (αὐτοετερότης)[1]. Si elle est l’altérité même, ce n’est pas comme chose qualifiée, parce que la qualité n’est pas une chose qualifiée. Si cette chose est autre seulement, elle ne l’est point par elle-même, elle ne l’est que par l’altérité, comme une chose est identique par l’identité. La privation n’est donc pas une qualité, ni une chose qualifiée, mais l’absence de qualité ou d’autre chose, comme le silence est l’absence du son. La privation est une chose négative ; la qualification est une chose positive. La propriété de la matière n’est pas une forme : car sa propriété consiste précisément à n’avoir point de qualification ni de forme. Il est absurde de prétendre qu’elle est qualifiée parce qu’elle n’a point de qualité ; c’est comme si l’on avançait qu’elle est étendue par cela même qu’elle n’a pas d’étendue. La propriété (ἰδιότης) de la matière n’est donc pas autre chose que d’être ce qu’elle est. Sa propriété n’est pas un attribut : elle consiste dans une disposition à devenir les autres choses (ἐν σχέσει τῇ πρὸς τὰ ἄλλα), parce qu’elle est autre qu’elles. Non seulement ces autres choses sont autres que la matière, mais encore chacune d’elles a une forme individuelle. Le seul nom qui convienne à la matière, c’est autre, ἄλλο, ou plutôt autres, ἄλλα, parce que le singulier est encore trop déterminatif, et que le pluriel exprime mieux l’indétermination.

  1. Nous traduisons αὐτοετερότης par l’altérité même pour rendre en français le jeu de mots qui disparaîtrait si l’on rendait ce terme par la différence même. La différence et l’identité sont des catégories du monde intelligible. Voy. Enn. VI, liv. ii, § 6.