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DEUXIÈME ENNÉADE.

pas propre à la matière. Si la corporéité est une raison [une forme], elle diffère certainement de la matière ; ce sont deux choses distinctes. Si la corporéité est considérée quand elle a déjà modifié la matière et qu’elle s’y est mêlée, elle est un corps ; elle n’est plus la matière pure et simple.

XIII. Si l’on veut que le sujet des choses soit une qualité commune à tous les éléments, il faut expliquer d’abord quelle est cette qualité, puis comment une qualité sert de sujet, comment une qualité inétendue, immatérielle[1] est perçue dans une chose inétendue ; enfin comment, si cette qualité est déterminée, elle est la matière : car si elle est quelque chose d’indéterminé, elle n’est plus une qualité, elle est la matière même que nous cherchons.

Mais, pourra-t-on dire, si la matière n’a aucune qualité, parce qu’en vertu de sa nature elle ne participe à aucune qualité des autres choses, qui empêche que cette propriété de ne participer à aucune qualité ne soit elle-même dans la matière une qualification, un caractère particulier et distinctif, qui consiste dans la privation de toutes les autres choses[2] ? Dans l’homme, la privation de quelque chose est une qualité : la privation de la vue, par exemple, est la cécité. S’il y a dans la matière la privation de certaines choses, cette privation est aussi pour elle une qualification. S’il y a dans la matière une privation absolue de toutes choses, notre assertion est encore mieux fondée : car la privation est une qualification. — Élever une pareille objection, c’est faire

  1. Nous lisons μὴ ἔχον ὕλην avec Ficin, Creuzer, etc.
  2. La discussion à laquelle Plotin se livre ici, pour déterminer l’essence de la privation, semble avoir pour but d’expliquer le sens de cette phrase d’Aristote : « Il y a trois principes : deux constituent la contrariété, d’un côté la notion substantielle et la forme, de l’autre la privation ; le troisième principe est la matière. » (Métaphysique, XII, 2.) Voy. M. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. I, p. 388. Plotin a déjà parlé de la privation dans l’Ennéade I, liv. viii, § 11, 12.