Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

« Chacun des organes des sens reçoit la chose sensible sans la matière. » (De l’Âme, III, 3 ; p. 264 de la trad.).

« Il faut admettre, pour tous les sens en général, que le sens est ce qui reçoit les formes sensibles sans la matière, comme la cire reçoit l’empreinte de l’anneau sans le fer ou l’or dont l’anneau est composé, et garde cette empreinte d’airain ou d’or, mais non pas en tant qu’or ou airain[1]. De même la sensibilité est spécialement affectée pour chaque objet qui a couleur, saveur ou son, non pas selon que chacun de ces objets est dénommé, mais selon qu’il est de telle nature, et suivant la seule raison [essence]. Elle est donc identique à l’objet senti, bien que son être soit différent : car autrement ce qui sent serait ainsi une sorte de grandeur. Mais pourtant l’essence de ce qui sent, non plus que la sensation même, n’est pas une grandeur ; c’est un certain rapport et une certaine puissance à l’égard de l’objet senti. Et cela même nous fait voir

  1. Cette idée est empruntée au Théétète de Platon. Voy. t. II, p. 190 de la trad. de M. Cousin : « Suppose avec moi, pour causer, qu’il y a dans notre âme des tablettes de cire, plus grandes en celui-ci, plus petites en celui-là, d’une cire plus pure dans l’un, dans l’autre moins, trop dure ou trop molle dans quelques-uns, en d’autres tenant un juste milieu. — Je le suppose. — Disons que ces tablettes sont un présent de Mnémosyne, mère des Muses, et que tout ce dont nous voulons nous souvenir, entre toutes les choses que nous avons ou vues ou entendues ou pensées de nous-même, nous l’y imprimons comme avec un cachet, tenant toujours ces tablettes prêtes pour recevoir nos sensations et nos réflexions : que nous nous rappelons tout ce qui y a été empreint, tant que l’image en subsiste, et que lorsqu’elle est effacée, ou qu’il n’a pas été possible qu’elle s’y gravât, nous l’oublions et nous ne le savons pas. » Voilà l’origine de la table rase dont on a tant parlé. M. Ravaisson s’est donc trompé en écrivant (t. II, p. 403) : « Aristote est le premier qui ait comparé l’âme avant la sensation à une table où il n’y avait encore rien d’écrit. » Bossuet (ibidem, chap. III, § 22) développe l’idée d’Aristote dans les termes suivants : « La disposition des organes corporels est au fond de même nature que celle qui se trouve dans les objets mêmes au moment que nous en sommes touchés ; comme l’impression se fait dans la cire, telle et de même nature qu’elle a été faite dans le cachet. En effet, cette impression, qu’est-ce autre chose qu’un mouvement dans la cire par lequel elle a été forcée de s’accommoder au cachet qui se met sur elle ? Et de même, l’impression dans nos organes, qu’est-ce autre chose qu’un mouvement qui se fait en eux, ensuite du mouvement qui commence à l’objet... Il faut, pour bien raisonner, regarder toute cette suite d’impression corporelle, depuis l’objet jusques au cerveau, comme chose qui tient à l’objet ; et, par la même raison qu’on distingue les sensations d’avec l’objet, il faut les distinguer d’avec les impressions et les mouvements qui les suivent. »