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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

clairement pourquoi les qualités excessives dans les choses sensibles détruisent les organes de la sensation. Si le mouvement est plus fort que l’organe, le rapport est détruit ; et ce rapport était pour nous la sensation, tout de même que l’harmonie et l’accord sont détruits quand les cordes sont trop fortement touchées. » (De l’Âme, II, 12 ; p. 247-249 de la trad.).

« L’âme est en quelque sorte toutes les choses qui sont[1]. En effet, les choses sont ou sensibles ou intelligibles, et la science est en quelque façon les choses qu’elle sait, de même que la sensation est les choses sensibles... Le principe qui sent et le principe qui sait dans l’âme sont en puissance les objets mêmes : ici, l’bjet qui est su, et là, l’objet qui est senti. Mais nécessairement, ou il s’agit des objets eux-mêmes, ou seulement de leurs formes ; et ce ne sont certainement pas les objets ; car ce n’est pas la pierre qui est dans l’âme, c’est seulement sa forme... L’intelligence est la forme des formes, et la sensation est la forme des choses sensibles. Mais comme il n’y a, en dehors des choses étendues, rien qui soit séparé comme nous le paraissent les choses sensibles, il faut admettre que les choses intelligibles sont dans les formes sensibles, comme y sont et les choses abstraites et tout ce qui est ou qualité ou modification des choses sensibles. Et voilà pourquoi l’être, s’il ne sentait pas, ne pourrait absolument ni rien savoir ni rien comprendre : mais quand il conçoit quelque chose, il faut qu’il conçoive aussi quelque image, parce que les images sont des espèces de sensations, mais des sensations sans matière[2]... Mais en quoi consistera la différence des pensées premières de l’intelligence, et qui les empêchera de se confondre avec les images ? Elles ne sont pas

  1. Ce principe joue un rôle important dans la théorie de la connaissance, telle qu’elle est exposée dans les Ennéades. Voici à ce sujet un passage remarquable du livre vi de l’Ennéade IV (§ 8): « L’âme est la raison de toutes choses, la raison dernière des choses intelligibles, la raison première des choses sensibles. Elle connaît donc les unes et les autres, parce qu’elle occupe une portion intermédiaire entre elles. On dit qu’elle pense les choses intelligibles quand elle se les rappelle en s’y appliquant. Elle connaît les choses intelligibles parce qu’elle est ces choses d’une certaine manière, parce qu’elle les possède en quelque sorte, qu’elle en a l’intuition ; parce que, étant ces choses d’une manière obscure, elle se réveille, passe de l’obscurité à la clarté, de la puissance à l’acte. Elle se comporte de la même façon pour les choses sensibles : en les rapprochant de ce qu’elle a en elle-même, elle les rend lumineuses, elle en a l’intuition, parce qu’elle possède une puissance prête [à les percevoir] et à les enfanter pour ainsi dire. »
  2. Le principe de cette théorie est dans le Théétète. Voy. t. II, p. 181-186 de la trad. de M. Cousin.