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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

images qui nous fait juger, c’est-à-dire, connaître le vrai et le faux... Les représentations de l’imagination sont fausses pour la plupart... On peut dire que l’imagination est le mouvement qui ne saurait avoir lieu sans la sensation, ni ailleurs que dans les êtres qui sentent ; qu’elle peut rendre l’être qui la possède agent et patient de bien des manières ; et enfin qu’elle peut également être vraie et être fausse. Et voici comment il se peut qu’elle devienne fausse. La sensation des objets propres à chaque sens est vraie, ou du moins elle a le moins d’erreur possible. En second lieu, la sensation peut n’être qu’accidentelle, et c’est là que l’erreur peut commencer. Ainsi, quand on dit que telle chose est blanche, on ne se trompe pas ; mais si l’on ajoute que cette chose blanche est ceci ou cela, c’est alors qu’on peut tomber dans l’erreur. En troisième lieu, vient la sensation des choses communes à tous les sens, et des conséquences qui suivent les accidents que supportent les objets propres : Je veux dire, par exemple, le mouvement et la grandeur, qui sont les accidents des objets sensibles, et pour lesquels il y a surtout chance qu’on se trompe dans la sensation. Mais le mouvement produit par l’acte de la sensation différera de la sensation qui vient de ces trois sources. Le premier mouvement, celui de la sensation présente, est vrai ; mais les autres, que la sensation soit ou ne soit pas présente, peuvent être faux ; et ils le sont surtout quand l’objet de la sensation est éloigné[1]. Si donc l’imagination est la seule à remplir toutes les conditions indiquées, et qu’elle soit tout ce que l’on vient de dire, elle peut être définie : un mouvement causé par la sensation qui est en acte. Mais comme la vue est le principal de nos sens, l’imagination a reçu son nom de l’image que la lumière nous révèle, parce qu’il n’est pas possible de voir sans lumière. Et parce qu’elle subsiste dans l’esprit, et qu’elle est pareille aux sensations, les animaux agissent très-souvent par elle et par les sensations : les uns, parce qu’ils n’ont pas l’intelligence en partage, comme les bêtes brutes ; les autres, parce que leur intelligence est quelquefois obscurcie par la passion, les maladies ou le sommeil, comme les hommes. » (De l’Âme, III, 9 ; p. 279-289 de la trad.)

Quant à l’imagination intellectuelle, voici la théorie professée par Plotin :

« Quand la faculté de l’âme qui nous représente les images de la raison discursive et de l’intelligence est dans un état convenable

  1. Toute cette théorie des erreurs de l’imagination est empruntée par Aristote au Théétète de Platon. Voy. la trad. de M. Cousin, t. II, p. 180-190.