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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

de calme, nous en avons l’intuition, la connaissance en quelque sorte sensible, avec la connaissance antérieure de l’activité de l’intelligence et de la raison discursive ; mais quand ce principe est agité par un trouble survenu dans l’harmonie des organes, la raison discursive et l’intelligence continuent d’agir sans qu’il y ait d’image, et la pensée ne se réfléchit pas dans l’imagination. Aussi faut-il admettre que la pensée est accompagnée d’une image sans cependant en être une elle-même[1]. » (Enn. I, liv. iv, § 10, p. 85.)

Cette théorie de l’imagination intellectuelle est également conforme à celle d’Aristote :

« Quant à l’âme intelligente [qui raisonne et conçoit], les images remplissent pour elle le rôle des sensations. Dès qu’elle affirme ou qu’elle nie que la chose est bien ou mal, elle la recherche ou la fuit. Voilà pourquoi cette âme ne pense jamais sans images..... L’intelligence est aux images tout à fait ce que le sens commun est aux sensations diverses qu’il réunit. Où est d’ailleurs la différence de rechercher comment l’âme distingue [en raisonnant] les choses qui sont dans un même genre, ou qui sont contraires, telles que le blanc et le noir ? Soit en effet A le blanc en rapport avec B le noir ; et que C soit à D comme l’un et l’autre sont entre eux. Ainsi il y a ici réciprocité ; si C, D sont à un seul objet, ils y seront

  1. Bossuet a développé la même théorie (ibidem, chap. III, § 14) : « Il faut reconnaître qu’on n’entend point sans imaginer ni sans avoir senti ; car il est vrai que, par un certain accord entre toutes les parties qui composent l’homme, l’âme n’agit pas, ne pense et ne connaît pas sans le corps, ni la partie intellectuelle sans la partie sensitive... L’esprit occupé de choses incorporelles, par exemple de Dieu et de ses perfections, s’y est senti excité par la considération de ses œuvres, ou par sa parole, ou enfin par quelque autre chose dont les sens ont été frappés. Et notre vie ayant commencé par de pures sensations, avec peu ou point d’intelligence indépendante du corps, nous avons dès l’enfance contracté une si grande habitude de sentir et d’imaginer que ces choses nous suivent toujours sans que nous en puissions être entièrement séparés. De là vient que nous ne pensons jamais ou presque jamais à quelque objet que ce soit que le nom dont nous l’appelons ne nous revienne : ce qui marque la liaison des choses qui frappent nos sens, telles que les noms, avec nos opérations intellectuelles. On met en question s’il peut y avoir, en cette vie, un pur acte d’intelligence dégagé de toute image sensible ; et il n’est pas incroyable que cela puisse être, durant de certains moments, dans les esprits élevés à une haute contemplation et exercés à se mettre au-dessus des sens ; mais cet état est fort rare, et il faut parler ici de ce qui est ordinaire à l’entendement. L’expérience fait voir qu’il se mêle toujours ou presque toujours à ses opérations quelque chose de sensible, dont même il se sert pour s’élever aux objets les plus intellectuels. »