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Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/650

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DEUXIÈME ENNÉADE, LIVRE IX.

avoir fait quelques efforts, elle ne put réussir, et implora le Père. Les autres Éons, et surtout Noûs, joignirent leur prière à la sienne. Alors le Père produisit à son image, par le moyen de Noûs, Horos, qui n’a point de compagne. Les Valentiniens donnent à cet Horos les noms de Stauros (Croix[1]), Lytrotes (Rédempteur), Carpistes (Juge), Horothetes (Déterminateur). Par son secours Sophia fut purifiée, relevée et rendue à son époux. Séparée de son Enthymesis et de sa passion, elle demeura dans le Plérôme[2]. Mais son Enthymesis avec sa passion fut séparée par une limite (αφορισθῆναι) et mise hors du Plérôme. Cette Enthymesis était une essence spirituelle, en sa qualité d’Affection naturelle d’un Éon (φυσιϰή τις Αἰῶνος ὁρμὴ ϰαὶ ἀποσταυρωθῆναι), mais elle n’avait pas de forme parce qu’elle n’avait rien compris. C’est pour cela que les Valentiniens disent que c’est une créature faible et féminine.

Ensuite, par la prévoyance du Père, pour affermir et consolider le Plérôme, et pour empêcher qu’aucun des Éons n’éprouvât le même malheur que Sophia, Noûs produisit une autre Syzygie (συζυγία, couple), savoir Christos et sa compagne Pneuma (l’Esprit-Saint)[3], par lesquels les Éons arrivèrent au dernier degré de perfec-

  1. Les Valentiniens donnaient à ce mot deux sens : croix, comme l’explique S. Irénée (I, 3) ; et palissade pour servir de limite, comme l’indique plus bas l’emploi du verbe ἀποσταυρωθῆναι. « Selon les Valentiniens (dit S. Irénée, I, 3), Horos a deux pouvoirs, celui d’affermir et celui de diviser : en tant qu’il affermit et qu’il soutient, il s’appelle Stauros ; en tant qu’il divise et qu’il sépare, Horos... Ils lui appliquent en ce sens ces paroles de S. Jean : « Ventilabrum in manu ejus, et purgabit aream suam, et congregabit triticum in horreum suum, paleas autem comburet igni inextinguibili. » (S. Luc, III, 17.) Ils disent que le van dont parle S. Jean est la croix (σταυρὸς) qui consume toutes les choses matérielles, comme le feu consume la paille, et qui purifie ceux qui sont sauvés, comme le van purifie le froment. » Valentin reconnaissait même deux Horos, dont le premier servait de limite entre Bythos et les autres Éons, et le second, entre le Plérôme et le Monde. (S. Irénée, I, 11.)
  2. Cette histoire allégorique de Sophia a de l’analogie avec le mythe dans lequel Platon explique la chute de l’âme humaine (Phèdre, p. 245-250 ; t. VI, p. 48-52, de la trad. de M. Cousin). Les Éons qui désirent contempler l’Auteur de leur existence ressemblent aux Dieux qui s’avancent à la contemplation de l’Essence véritable. Sophia représente l’âme qui, brûlant du désir de contempler la région supérieure du ciel, mais ne pouvant y atteindre, s’en va frustrée de la vue de l’Être, et qui, perdant les plumes de ses ailes, vient demeurer dans un corps, où elle souffre toute sorte de maux, jusqu’à ce que s’étant purifiée elle retourne au monde intelligible.
  3. « Cette conception s’accorde à merveille, tout en le défigurant, avec le système kabbalistique où le Verbe, représenté comme un principe mâle, a, comme tous les autres principes du même ordre, sa moitié,