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LIVRE DEUXIÈME.

tion même constitue en quelque sorte son essence. Si la Raison [du monde] n’était pas multiple, elle ne serait plus universelle, elle n’existerait même plus. Puisqu’elle existe, la Raison doit donc renfermer une différence en elle-même ; or, la plus grande différence, c’est l’opposition. En effet, si la liaison renferme en elle-même une différence et produit des choses différentes, la différence qui existe dans ces choses est plus grande que celle qui existe dans la Raison ; or, la différence portée au plus haut degré constitue l’opposition ; la Raison doit donc, pour être parfaite, faire naître de son essence même des choses non-seulement différentes, mais encore opposées.

XVII. Si la Raison fait ainsi naître de son essence des choses opposées, les choses qu’elle produira seront d’autant plus opposées qu’elles seront plus éloignées les unes des autres. Le monde sensible est moins un que sa Raison, par conséquent, il est plus multiple, il renferme plus d’oppositions : ainsi, l’amour de la vie a plus de force dans les individus, l’égoïsme est plus puissant en eux, et souvent, par leur avidité, ils détruisent ce qu’ils aiment, quand ce qu’ils aiment est périssable. L’amour que chaque individu a pour lui-même fait que, dans ses rapports avec l’univers, il s’approprie tout ce qu’il peut. Ainsi, les bons et les méchants sont conduits à faire des choses opposées par l’art qui dirige l’univers, comme est dirigé un chœur de danse : une partie en est bonne, et l’autre mauvaise ; mais l’ensemble est bon. — Alors, il n’y a plus de méchants [objectera-t-on]. Rien n’empêche qu’il n’y ait encore des méchants ; seulement ils ne seront pas tels par eux seuls. Aussi sera-ce un motif d’indulgence à leur égard, à moins que la raison n’admette pas cette indulgence et ne la rende impossible[1].

  1. « Ce qui vient des dieux mérite notre respect au nom de la vertu ; ce qui vient des hommes, notre amour, au nom de leur parenté avec nous, et quelquefois une sorte de pitié, à cause de