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TROISIÈME ENNÉADE.


ner si le jugement lui-même, en tant que jugement, ne participe en rien à la nature de son objet : car s’il en reçoit l’empreinte (τύπος)[1], il est passif. D’ailleurs, les images qui proviennent des sens (τυπώσεις), pour employer ici l’expression habituelle, se forment d’une tout autre manière qu’on ne le croit vulgairement. Il en est d’elles comme des conceptions intellectuelles (νοήσεις), qui sont des actes, et par lesquelles nous connaissons les objets sans être passifs. En général, notre raison et notre volonté ne nous permettent en aucune façon d’attribuer[2] à l’âme des modifications et des changements tels que réchauffement et le refroidissement des corps[3])Enfin, il faut considérer si la partie de l’âme que l’on nomme la partie passive (τὸ παθητιϰὸν) doit être regardée aussi comme inaltérable (ἄτρεπτον) ou comme étant sujette à éprouver des passions[4]. Mais nous aborderons cette question plus tard. Commençons par résoudre nos premiers doutes.

Comment la partie de l’âme qui est supérieure à la sensation et à la passion peut-elle rester inaltérable, quand elle admet en elle le vice, les fausses opinions, l’ignorance[5] ; quand elle a des désirs ou des aversions[6]), qu’elle se livre à la joie ou à la douleur, à la haine, à la jalousie, à la concupiscence ; quand, en un mot, elle ne reste jamais calme, mais que toutes les choses qui lui surviennent l’agitent et produisent en elle des changements ?

  1. Voy. Enn. IV, liv. VI.
  2. Nous lisons ὑποϐαλεῖν, comme M. Kirchhoff, au lieu de ὑπολαϐεῖν.
  3. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § viii, t. I, p. lx.
  4. On sait que Plotin distingue dans l’âme deux parties, l’âme raisonnable et l'âme irraisonnable, qu’il nomme ici la partie passive (t. I, p. 324-326).
  5. Nous lisons ἀγνοίας, comme M. Kirchhoff, au lieu de ἀνοίας.
  6. Il y a dans le texte : οἰκειώσεις καὶ ἀλλοτριώσεις. Ficin rend ces mots par conformitates et difformitates. Cette traduction nous paraît ne pas rendre du tout la pensée de l’auteur : οἰκείωσις exprime le mouvement par lequel l’âme cherche à s’approprier un objet, et ἀλλοτρίωσις le mouvement par lequel elle cherche à l’éloigner d’elle.