Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
LIVRE SIXIÈME.


Si l’âme est corporelle, étendue, il est difficile, que dis-je ? il est impossible qu’elle reste impassible et inaltérable quand les faits dont nous venons de parler se produisent en elle. Si elle est au contraire une essence inétendue, incorruptible, il faut se garder de lui attribuer des passions qui impliqueraient qu’elle est périssable[1]. Si elle est par son essence un nombre ou une raison, comme nous le disons habituellement, comment se produirait-il une passion dans un nombre, dans une raison[2] ? Il faut donc n’attribuer à l’âme

  1. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § VI, t. I, p. LIX. On trouve les mêmes idées dans S. Augustin : « Nunc autem quatenus accipienda sit animi mutatio videamus…. Quæ autem major quam in contraria solet esse mutatio, et quis negat animum, ut omittam cetera, stultum alias, alias vero esse sapientem ? Prius ergo quot modis accipiatur, quæ dicitur animi mutatio, videamus : qui, ut opinor, manifestiores duntaxat clarioresque nobis duo sunt genere, specie vero plures inveniuntur. Namque aut secundum corporis passiones, aut secundum suas, anima dicitur immutari : secundum corporis, ut per aetates, per dolores, labores, offensiones, per voluptates ; secundum suas autem, ut cupiendo, lætando, metuendo, ægrescendo, studendo, discendo. Hæ omnes mutationes, si non necessario argumento sunt mori animam, nihil quidem metuendæ sunt per se separatim… Nulla autem earum mutationum, quæ sive per corpus, sive per ipsam animam fiunt (quamvis utrum aliquæ per ipsam fiant, id est quorum ipsa sit causa, non parva sit quæstio), id agit ut animam non animam faciat. » (De Immortalitate animæ, 5.)
  2. Nous avons déjà expliqué dans le tome 1 (p. 240, note 2) en quel sens Plotin appelle l’âme une raison. Quant à la qualification de nombre, qu’il donne ici à l’âme, voici comment il l’explique lui-même : « Tu ne produis pas le nombre ici-bas en parcourant, par la raison discursive, des choses qui existent par elles-mêmes et qui ne doivent pas leur existence à ce que tu les nombres : car tu n’ajoutes rien à l’essence d’un homme en le nombrant avec un autre. Il n’y a pas là une unité, comme dans un chœur. Lorsque tu dis : dix hommes, dix existe en toi qui nombres ; on ne saurait dire que dix existe dans les dix hommes que tu nombres, parce qu’ils ne sont pas coordonnés dans l’unité, mais tu produis toi-même dix en nombrant cette dizaine et en en faisant une