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TROISIÈME ENNÉADE.


gence et la vie sans avoir lui-même besoin de les posséder[1].

Si telle est la nature de l’Être, il ne saurait être ni les corps, ni la substance des corps ; l’être des corps est le non-être. — Mais (dira-t-on), comment ne pas donner le nom d’être à la substance des corps, à la matière qui compose ces montagnes, ces rochers, toute la terre solide, en un mot, tous les objets impénétrables ? Quand on est frappé, n’est-on pas obligé par le choc que l’on reçoit de reconnaître que ces objets existent ? Comment des objets qui ne sont pas impénétrables, qui ne peuvent ni en choquer d’autres ni en être choqués, qui sont complètement invisibles, comme l’âme et l’intelligence, sont-ils des êtres, des êtres véritables[2]. — Voici notre réponse : La terre, qui possède la nature corporelle au plus haut degré, est inerte ; l’élément qui est moins grossier [l’air] est déjà plus mobile et occupe une région élevée ; le feu s’éloigne encore plus de la nature corporelle. Les choses qui se suffisent le mieux à elles-mêmes agitent et troublent moins les autres ; celles qui sont plus pesantes et plus terrestres, par cela même qu’elles sont incomplètes, sujettes à des chutes, incapables de s’élever, tombent par faiblesse, et choquent les autres en vertu de leur inertie et de leur pesanteur : c’est ainsi que les corps inanimés tombent plus lourdement, choquent et blessent avec plus de force ; au contraire, les corps animés, par cela même qu’ils participent plus à l’être, frappent avec moins de

  1. Voy. ci-après, liv. VIII, § 9.
  2. « Les uns rabaissent à la terre toutes les choses du ciel et de l’ordre invisible, et ne savent qu’embrasser grossièrement de leurs mains les pierres et les arbres qu’ils rencontrent. Attachés à tous ces objets, ils nient qu’il y ait rien autre que ce que les sens peuvent atteindre. Le corps et l’être sont pour eux une seule et même chose. Ceux qui viennent leur dire qu’il y a quelque chose qui n’a point de corps excitent leur mépris, et ils n’en veulent pas entendre davantage. » (Platon, Sophiste, p. 246 ; trad. de M. Cousin, t. XI, p. 252.) Voy. aussi dans notre tome I la traduction des fragments de Numénius, p. C-CI.