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LIVRE SIXIÈME.


soit autrement, que les images qui remplissent un miroir ne soient pas passagères et que le miroir reste invisible : évidemment dans ce cas nous croirions que les choses qu’il nous présente existent réellement. S’il y a donc quelque chose dans un miroir, cette chose est ce que sont les formes sensibles dans la matière. Si dans un miroir il n’y a qu’apparence, nous devons également admettre qu’il n’y a qu’apparence dans la matière, en reconnaissant que cette apparence est la cause de l’existence des êtres, existence à laquelle participent toujours réellement les choses qui existent, et à laquelle ne participent pas réellement celles qui n’existent pas véritablement : car elles ne sauraient être dans l’état où elles seraient si elles existaient sans que l’Être en soi existât lui-même.

XIV. Quoi ! rien ne subsisterait-il [dans le monde sensible] si la matière n’existait pas ? Rien[1]. C’est comme pour un miroir : enlevez-le, les images s’évanouissent. En effet, ce qui est par sa nature destiné à exister dans une autre chose ne saurait exister sans cette chose ; or, la nature de toute image est d’exister en une autre chose. Si l’image était une émanation des causes mêmes, elle pourrait subsister sans être en une autre chose ; mais, comme ces causes demeurent en elles-mêmes, pour que leur image se reflète ailleurs, il faut qu’il y ait une autre chose destinée à servir de lieu à ce qui n’y entre pas réellement ; une chose, dis-je, qui par sa présence, son audace, ses sollicitations et son indigence, obtienne de force en quelque sorte, mais qui soit trompée parce qu’elle n’obtient rien réellement ; de sorte qu’elle conserve son indigence et qu’elle continue de solli-

  1. Ficin ajoute à la traduction du texte prœter entia, sans doute pour expliquer la pensée de Plotin, qu’on peut formuler ainsi : Si la matière, qui remplit ici-bas le rôle d’un miroir, cessait d’exister, il n’y aurait plus que les êtres intelligibles ; les êtres sensibles, qui sont les images des premiers, disparaîtraient avec la matière qui leur sert de substance.