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TROISIÈME ENNÉADE, LIVRE II.

honneurs, beauté, etc., et que les hommes vertueux aient une condition contraire. — Pour répondre à cette objection et à toutes celles qu’on peut élever contre la Providence, il faut remarquer en général que les choses sensibles ne sauraient atteindre à la perfection des choses intelligibles, et en particulier que Dieu n’est point responsable des actes volontaires et libres des âmes. D’ailleurs, l’homme n’occupe dans l’univers qu’un rang intermédiaire entre Dieu et la brute.

(VIII-IX) Pour obtenir les avantages auxquels on attache du prix, il faut faire les actes de l’accomplissement desquels dépend leur possession. On ne peut raisonnablement demander à la Providence de venir à chaque instant suspendre les lois de la nature et en interrompre le cours, par son intervention. En effet, l’action de la Providence ne doit pas anéantir la liberté de l’homme : son rôle est d’assurer à chacun, soit ici-bas, soit après la mort, la récompense ou la punition qu’il a méritée par sa conduite. Elle rappelle d’ailleurs toujours l’homme à la raison et à la vertu par les moyens dont elle dispose.

(X) Les méchants sont pleinement responsables de leurs actions parce que ce sont eux qui les font. Leur méchanceté même leur est imputable, parce que c’est une disposition conforme à leur volonté.

(XI-XII) La Raison de l’univers n’a pas dû donner à tout une perfection uniforme, parce que les inégalités mêmes et les différences des êtres contribuent à la beauté de l’univers, que chacun d’eux pris séparément a ses différences propres qui constituent son individualité, et que tous pris ensemble réalisent toutes les essences contenues dans le monde intelligible.

(XIII-XIV) Pour juger le monde sensible, il ne suffit pas de considérer l’état présent des choses ; il faut encore embrasser toute la série des faits passés et futurs où s’exerce la justice distributive de Dieu. On découvre alors un ordre admirable. Si chaque individu, considéré isolément, laisse à désirer, c’est parce qu’il ne peut réunir en lui seul toutes les perfections de son espèce.

(XV) Quant aux objections particulières que soulève le spectacle du monde, on peut répondre que la destruction des animaux les uns par les autres est une des conditions de la vie universelle, que la guerre n’est qu’un jeu puisqu’elle n’anéantit pas l’âme, etc. En général, toutes les choses qui sont pénibles pour la partie animale de notre être constituent des incidents variés du drame immense dont la terre est le théâtre.

(XVI) Si l’on remonte aux principes, on voit que la Raison du monde procède de l’Âme universelle et de l’Intelligence divine. C’est un acte, une vie, dont l’unité consiste dans une harmonie formée par mille sons divers. La pluralité et l’opposition des contraires sont nécessaires dans le monde sensible parce qu’il est un tout, et que la totalité implique à la fois unité et variété.

(XVII-XVIII) La Providence accorde à chacun le rôle qu’il est le plus propre à remplir par ses dispositions naturelles, ses mérites et ses défauts, et, tout en donnant à l’univers sa perfection, exerce en même temps sa justice distributive. Ainsi, c’est des différences intrinsèques des âmes que naissent les inégalités des conditions. Quant aux inégalités des âmes, elles tiennent à ce que celles-ci occupent le premier, le deuxième ou le troisième rang dans le drame de la vie, où la nature, prévoyant le rôle que jouerait chaque acteur, lui a