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TROISIÈME ENNÉADE.


qui fabriquent des figures de cire, et au travail desquels on compare souvent celui de la Nature, ne peuvent donner des couleurs aux objets qu’ils font qu’en les empruntant ailleurs. Il faut d’ailleurs remarquer que ces artisans ont en eux une puissance qui demeure immobile, et en vertu de laquelle seule ils fabriquent leurs ouvrages avec leurs mains. De même, il y a dans la Nature une puissance qui demeure immobile, mais qui agit sans le secours des mains. Cette puissance demeure immobile tout entière : elle n’a pas besoin d’avoir des parties qui demeurent immobiles et d’autres qui se meuvent. C’est la matière seule qui subit le mouvement ; la puissance formatrice n’est mue en aucune manière. Si la puissance formatrice était mue, elle ne serait plus le premier moteur[1] ; le premier moteur lui-même ne serait plus alors la Nature, mais ce qui serait immobile dans l’ensemble. — Sans doute, dira-t-on peut-être, la raison [séminale] reste immobile, mais la Nature est distincte de la raison, et elle est mue. — Si l’on parle de la Nature entière, il faut y comprendre la raison. Si l’on ne considère comme immobile qu’une de ses parties, cette partie sera encore la raison. La Nature doit être une forme (εἶδος)[2], et non un composé de matière et de forme. Quel besoin pourrait-elle avoir d’une matière qui fût froide ou chaude, puisque la matière, soumise à la forme, ou possède ces qualités, ou les reçoit, ou plutôt subit l’action de la raison avant d’avoir aucune qualité. En effet, ce n’est pas par le feu que la matière devient feu, c’est par la raison[3]. On voit par là que,

  1. Le principe énoncé ici par Plotin est emprunté à Aristote, Physique, VIII, V. Voy. la même idée ci-dessus, p. 135 : « Ce n’est pas la puissance végétative qui végète, etc. »
  2. C’est la liaison qui produit dans la matière ; or le Principe qui produit naturellement n’est pas une pensée, ni une intuition, mais une Puissance qui façonne la matière aveuglément, comme un cercle donne à l’eau une figure et une empreinte circulaire. » (Enn. II, liv. III, § 17 ; t. I, p. 191.)
  3. Voy. ci-dessus, p. 153.