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QUATRIÈME ENNÉADE.


sée et par la parole, parce que, dès qu’un objet est composé, il est toujours possible de l’analyser par la pensée et la parole. Voici ce qui est en réalité.

S’il n’y avait pas de corps, il ne pourrait y avoir pour l’Âme de procession, puisque le corps est le lieu naturel de son développement. Comme l’Âme doit s’étendre, elle engendrera un lieu qui la reçoive, par conséquent, elle engendrera le corps. Or, le repos de l’Âme se fortifiant dans le Repos même[1], l’Âme ressemble à une lumière immense qui s’affaiblit en s’éloignant de son foyer, de sorte qu’au terme de son rayonnement, il n’y a plus qu’une ombre ; mais, en regardant cette ombre, l’Âme lui a donné une forme dès l’origine. En effet, il ne convenait pas que ce qui approche de l’Âme ne participât en rien à la Raison[2] ; aussi y a-t-il dans [la matière], cette ombre de l’Âme, une ombre de la Raison. L’univers est ainsi devenu une demeure belle et variée, que l’Âme universelle n’a pas privée de sa présence[3], sans cependant s’y incorporer ; elle a jugé l’univers tout entier digne de ses soins, et elle lui a ainsi donné autant d’être et de beauté qu’il était capable d’en recevoir, sans d’ailleurs rien perdre elle-même, parce qu’elle l’administre en demeurant au-dessus de lui dans le monde intelligible. De cette manière, en l’animant, elle lui accorde sa présence sans devenir sa propriété ; elle le domine et le possède sans être domi-

  1. Le Repos appartient à l’Intelligence et constitue un des Genres de l’être, selon Plotin. Voy. ci-dessus p. 174.
  2. Voy. ci-après, § 10.
  3. « Ce monde visible n’est autre chose que la demeure de Dieu, c’est-à-dire de celle des puissances divines qui constitue la bonté. » (Philon, De Somniis, p. 6-18, éd. Mangey.) « Celui qui est venu dans la grande cité du monde ne doit-il pas naturellement et nécessairement regarder Dieu comme un Père, un Créateur et un Monarque ? En effet, Dieu ne s’est pas proposé de faire une œuvre d’art ; cependant, le monde est plein d’art, parce qu’il a été fait par un être qui unit la sagesse à la bonté et à la perfection. » (Philon, De Monarchia, p. 217.