Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321
LIVRE TROISIÈME.


peuvent cependant se rappeler que les choses qui concernent cette vie et qu’elles ont connues ici-bas, ou même les actes qui ont quelque rapport avec la justice.

Il nous reste à déterminer ce que dirait Hercule [c’est-à-dire [l’homme proprement dit] seul et séparé de son image. Que dirait donc l’âme raisonnable si elle était séparée et isolée ? — Car, l’âme qui a été attirée par le corps connaît tout ce que l’homme [proprement dit] a fait ou éprouvé ici-bas. Avec le cours du temps, à la mort, se reproduisent les souvenirs des existences antérieures ; mais l’âme en laisse échapper quelques-uns par mépris. S’étant en effet purifiée du corps, elle se rappellera les choses qu’elle n’avait pas présentes dans cette vie[1]. Si, après être entrée dans un autre corps, elle vient à considérer le passé, elle parlera de cette vie qui lui est devenue étrangère, de ce qu’elle a récemment abandonné, et d’une foule de faits antérieurs. Quant aux circonstances qui arrivent dans une longue période, elles seront toujours plongées dans l’oubli.

Mais, encore une fois, que se rappellera l’âme isolée du corps ? Pour résoudre cette question, il faut déterminer à quelle puissance de l’âme appartient la mémoire.

XXVIII. La mémoire appartient-elle aux puissances par lesquelles nous sentons et nous connaissons ? Est-ce par la concupiscence que nous nous rappelons les choses qui excitent nos désirs, et par la colère, celles qui nous irritent ? Oui, dira quelqu’un. C’est bien la même faculté qui éprouve le plaisir et qui en conserve le souvenir : ainsi, lorsque la concupiscence, par exemple, rencontre un objet qui lui a déjà fait éprouver du plaisir, elle se rappelle ce plaisir en voyant cet objet. Pourquoi, en effet, n’est-elle pas émue de même par un autre objet ? Pourquoi n’est-elle pas émue d’une autre façon par cet objet même ? Pourquoi

  1. Voy. le passage du Philèbe cité ci-dessus, p. 315, note 1.