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LIVRE QUATRIÈME.

l’âme à l’état de simples images ; elles y constituaient au contraire une puissance [intellectuelle] qui a passé ensuite à l’état d’acte. Quand l’âme vient à cesser de s’appliquer à la contemplation des intelligibles, elle ne voit plus que ce qu’elle voyait auparavant [c’est-à-dire les choses sensibles].

V. La puissance qui constitue la mémoire fait-elle passer à l’état d’actes les notions que nous avons des intelligibles ? Si ces notions ne sont pas des intuitions, c’est par la mémoire qu’elles passent à l’état d’actes[1] ; si ce sont des intuitions, c’est par la puissance qui nous les a données là-haut. Cette puissance s’éveille en nous toutes les fois que nous nous élevons aux choses intelligibles, et elle voit ce dont nous parlons[2]. Ce n’est pas en effet par l’imagination ni par le raisonnement, obligé de tirer lui-même ses principes d’ailleurs, que nous nous représentons les intelligibles : c’est par la faculté que nous avons de les contempler, faculté qui nous permet d’en parler même ici-bas. Nous les voyons donc en éveillant en nous ici-bas la même puissance que nous devons éveiller en nous quand nous sommes dans le monde intelligible. Nous ressemblons à

  1. Nous lisons avec M. Kirchhoff : ἢ εἰ μὲν αὐτὰ ὡρῶμεν, μνήμη.
  2. Ces idées ont été développées d’une manière brillante par saint Augustin : « Quum de iis agitur quæ mente conspicimus, id est intellectu atque ratione, ea quidem loquimur quæ præsentia contuemur in illa interiore luce veritatis, qua ipse qui dicitur homo interior illustratur et fruitur. Sed tunc quoque noster auditor, si et ipse illa secreto ac simplici oculo videt, novit quod dico sua contemplatione, non verbis meis. Ergo ne hunc quidem doceo vera dicens vera intuentem : docetur enim non verbis meis, sed ipsis rebus Deo intus pandente manifestis. Itaque etiam de his interrogatus respondere potest, etc. » (De Magistro, 12.) C’est de ce beau passage de saint Augustin que Fénelon a tiré ce morceau célèbre de son traité De l’Existence de Dieu (I, ch. 2) : « À la vérité ma raison est en moi : car il faut que je rentre sans cesse en moi-même pour la trouver ; mais la raison supérieure qui me corrige dans le besoin, et que je consulte, n’est pas à moi et elle ne fait pas partie de moi-même… C’est un maître intérieur qui me fait taire, qui me fait parler, qui me fait croire, qui me fait douter, qui me fait avouer mes erreurs ou confirmer mes jugements : en l’écoutant, je m’instruis ; en m’écoutant moi-même, je m’égare. Ce maître est partout, et sa voix se fait entendre, d’un bout de l’univers à l’autre, à tous les hommes comme à moi, etc. »