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QUATRIÈME ENNÉADE, LIVRE IV.


(XXV-XXVI) Étant la représentation d’une notion adventice et passagère, le souvenir implique variété, succession ; par là, il est une opération moins parfaite que la pensée, acte simple et immanent, qui ne s’attache qu’à l’immuable et à l’éternel. D’un autre côté, le souvenir est supérieur à la sensation : car il n’a pas comme elle besoin des organes, parce qu’il se borne à reproduire la forme intelligible qu’elle a perçue.

(XXVII-XXXII) Il y a deux espèces de mémoire, la mémoire sensible et la mémoire intellectuelle : la première appartient à l’âme irraisonnable ; la seconde, à l’âme raisonnable. L’une et l’autre ont pour principe l’imagination : d’un côté, quand la sensation a été perçue, l’imagination en garde la représentation, dont la conservation constitue le souvenir ; d’un autre côté, la conception rationnelle accompagne toujours la pensée, et elle la transmet à l’imagination qui la réfléchit comme un miroir. Par là, elle fait arriver dans notre conscience et rester dans notre mémoire les actes de la partie supérieure de notre âme. Il y a ainsi deux espèces d’imagination, qui correspondent aux deux espèces de mémoire, l’imagination sensible et l’imagination intellectuelle : la première est subordonnée à la seconde : car, dans l’âme irraisonnable, le souvenir est une passion ; dans l’âme raisonnable, un acte. Plus on s’applique à la pensée des choses intelligibles, moins on doit se rappeler les choses inférieures.


LIVRE QUATRIÈME.
QUESTIONS SUR L’ÂME, II.

Première question. Quelles sont les âmes qui font usage de la Mémoire et de l’Imagination, et quelles sont les choses dont elles se souviennent[1] ?

(I-II) Quand l’âme s’élève au monde intelligible, elle n’exerce plus la mémoire, parce que cette faculté se rapporte aux choses temporaires et que le monde intelligible ne renferme que des essences. éternelles, entre lesquelles il n’existe d’autre distinction que celle de l’ordre. Tout entière à la contemplation de ces essences, l’âme ne fait point de retour sur elle-même ; mais elle se voit dans son principe, parce qu’en le pensant elle se pense elle-même en vertu de l’intuition qu’elle a de toutes choses.

(III-IV) Quand l’âme redescend du monde intelligible aux choses sensibles, elle se souvient de ces dernières et elle a conscience d’elle-même : car la mémoire ne consiste pas seulement à se rappeler ce qu’on a vu ou éprouvé, mais encore à être dans une disposition conforme à la nature de ce qu’on se rappelle.

(V) L’âme se représente les intelligibles plutôt par une intuition que par un souvenir. La mémoire proprement dite ne s’exerce dans l’âme que quand elle

  1. Voy. ci-après Jamblique, Traité de l’Âme, § v, p. 636.