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LIVRE QUATRIÈME.

VIII. Il n’est point nécessaire que l’on se souvienne de tout ce que l’on voit, ni qu’on se représente par l’imagination toutes les choses qui se suivent accidentellement. D’un autre côté, quand l’esprit possède une connaissance et une conception claire de certains objets, qui viennent ensuite s’offrir aux sens, rien ne le force d’abandonner la connaissance qu’il a acquise par l’intelligence pour regarder l’objet particulier et sensible qu’il a devant lui, à moins qu’il ne soit chargé d’administrer quelqu’une des choses particulières contenues dans la notion du tout.

Maintenant, pour entrer dans les détails, disons d’abord que l’on ne retient pas nécessairement tout ce que l’on a vu. Quand une chose n’a pas d’intérêt ni d’importance, les sens, frappés par la diversité des objets sans notre concours volontaire, sont seuls affectés ; l’âme ne perçoit pas les impressions, parce que leur différence est pour elle sans aucune utilité. Quand l’âme est tournée vers elle-même ou vers d’autres objets, et qu’elle s’y applique tout entière, elle ne saurait se souvenir de ces choses indifférentes, puisqu’elle n’en a même pas la perception quand elles sont présentes. Il n’est pas davantage nécessaire que l’imagination se représente ce qui est accidentel, ni, si elle se le représente, qu’elle le retienne fidèlement. Il est facile de constater qu’une impression sensible de ce genre n’est point perçue, si l’on veut bien faire attention à ce que nous allons dire. Quand, en marchant, nous divisons ou plutôt nous traversons l’air, sans nous proposer de le faire, nous ne saurions nous en apercevoir ni y songer pendant que nous avançons : De même, si nous n’avions point résolu de faire tel ou tel chemin, et que nous pussions voler à travers les airs, nous ne penserions pas à la région de la terre dans laquelle nous sommes, ni à l’étendue que nous avons parcourue. Si nous avions à nous mouvoir, non pendant un temps déterminé, mais abstraction faite de tout temps,