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LIVRE SEPTIÈME.


des choses inanimées et sans ordre ; on veut enfin que ces essences pleines d’ordre doivent au hasard leur ordre et leur existence. Cela est impossible pour des parties aussi bien que pour un tout. L’âme n’est donc pas une harmonie.

[2o  L’âme n’est pas l’entéléchie du corps.]

[C[1]] Examinons maintenant l’opinion de ceux qui appellent l’âme une entéléchie. Ils disent que, dans le composé, l’âme joue, à l’égard du corps qu’elle anime, le rôle de la forme à l’égard de la matière ; qu’elle n’est pas la forme de tout corps, ni du corps en tant qu’il est corps, mais du corps naturel, organisé, qui a la vie en puissance[2].

Si l’âme est avec le corps dans le même rapport que la forme de la statue avec le bronze, il en résulte qu’elle est divisée avec le corps, et qu’en coupant un membre on coupe avec lui une portion de l’âme. Dans cette doctrine, l’âme ne se sépare pas du corps pendant le sommeil, puisqu’elle doit être inhérente au corps dont elle est l’entéléchie, en sorte que le sommeil devient par là tout à fait inexplicable[3]. Si l’âme est une entéléchie, il n’y aura plus de lutte possible de la raison contre les passions. L’être humain tout entier n’éprouvera qu’un seul et même sentiment, sans jamais être en désaccord avec lui-même. Si l’âme est une entéléchie, il y aura peut-être encore des sensations, mais des sensations seulement ; les pensées pures seront impossibles. Aussi les

  1. Tout le morceau sur l’entéléchie, désigné par la lettre C, est tiré de la Préparation évangélique d’Eusèbe (XV, 10). Voy. les Éclaircissements sur ce livre à la fin du volume.
  2. Pour la définition de l’entéléchie par Aristote, Voy. t. I, p. 357.
  3. Cet argument paraît emprunté à Ammonius. Voy. t. I, p. XCVI. Saint Augustin emploie le même argument : « Corporeos sensus somnus sopit et claudit quodam modo, ita sane ut tali mutationi corporis cedat anima cum voluptate, quia secundum naturam est talis commutatio quaæ reficit corpus a laboribus : non tamen hæc adimit animo vel sentiendi vim vel intelligendi, etc. » (De Immortalitate animœ, 14.)