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TROISIÈME ENNÉADE.


III. Rapporter tout à des causes corporelles, qu’on les appelle, soit atomes, soit éléments, et de leur mouvement désordonné faire naître l’ordre, la raison, et l’âme qui dirige [le corps], c’est une chose absurde et impossible dans l’une comme dans l’autre hypothèse ; cependant, faire tout naître des atomes est, si je puis m’exprimer ainsi, plus impossible encore. Aussi a-t-on fait à ce système beaucoup d’objections parfaitement fondées[1].

D’abord, en admettant de pareils principes, leur existence n’a pas pour conséquence inévitable la nécessité de toutes choses ni la fatalité. Supposons en effet qu’il y ait des atomes : les uns se mouvront vers le bas (en supposant qu’il y ait un haut et un bas dans l’univers), les autres dans une direction oblique, ou au hasard, dans divers sens. Il n’y aura rien de déterminé puisqu’il n’y aura pas d’ordre. Il n’y aura de déterminé que ce qui naîtra des atomes. Il sera donc impossible de deviner et de prédire les événements, soit par art (comment en effet pourrait-il y avoir de l’art au milieu de choses sans ordre ?), soit par enthousiasme et par inspiration divine : car il faut pour cela que l’avenir soit déterminé. Les corps obéiront, il est vrai, aux impulsions que les atomes leur donneront nécessairement ; mais, pour les opérations et les affections de l’âme, comment les expliquer par des mouvements d’atomes ? Comment le choc des atomes, qu’il ait lieu par une chute verticale ou par un mouvement oblique, peut-il produire dans l’âme tels raisonnements, tels appétits, soit nécessairement, soit de toute autre manière ? Comment se fait-il que l’âme résiste aux impulsions du corps ? Par quel

  1. Les objections dont Plotin parle ici et qu’il développe dans les phrases suivantes, paraissent être celles que les Stoïciens adressaient aux Épicuriens. Voy. l’argumentation de Chrysippe contre la doctrine des atomes dans Cicéron, De Fato, 10. Voy. encore Fénelon, De l’Existence de Dieu, I, chap. 3.