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PORPHYRE.


puisqu’il est inscrit sur le temple de Delphes, il a été ou dit ou inspiré par le Dieu. Il nous reste donc à examiner ce qu’il signifie, et ce qu’au nom d’Apollon il nous prescrit de faire avant de nous purifier par l’eau lustrale.

II. [Livre I.] Peut-être le précepte Connais-toi toi-même équivaut-il à Sois tempérant (σωφρόνει (sôphronei))[1], c’est-à-dire Conserve la sagesse (σῶζε τὴν φρόνησιν (sôze tên phronêsin)) : car la tempérance (σωφροσύνη (sôphrosunê)) est une espèce de conservation de la sagesse (σαοφροσύνη (saophrosunê)). En ce cas, Apollon parlerait de la sagesse (τὸ φρονεῖν (to phronein)) et de la cause de la sagesse en nous prescrivant de nous conserver nous-mêmes. Si telle est la pensée du Dieu, il nous faut connaître quelle est notre essence. — D’autres philosophes, qui admettent que l’homme est un petit monde, disent que le précepte d’Apollon commande sans doute de se connaître soi-même, mais que, l’homme étant un petit monde, la prescription de se connaître soi-même équivaut à celle de se livrer à l’étude de la philosophie. Si donc nous voulons nous livrer à l’étude de la philosophie sans nous égarer, appliquons-nous à nous connaître nous-mêmes, et nous arriverons à la droite philosophie en nous élevant de la conception de nous-mêmes à la contemplation de l’univers[2]. — Sans doute on a raison de dire que nous concluons de ce qui est en nous à tout ce qui est hors de nous, et qu’après nous être cherchés et nous être trouvés nous-mêmes, nous passons facilement à la contemplation de l’univers[3] ; peut-être cependant Apollon nous ordonne-t-il de nous étudier nous-mêmes moins pour arriver à posséder la philosophie que pour atteindre un but plus relevé, en vue duquel nous étudions la philosophie elle-même. En effet, si nous nous appliquons à la philosophie, c’est parce que nous avons de l’inclination pour la sagesse et que nous aimons la spéculation. Or, le zèle que nous mettons à accomplir le précepte Connais-toi toi-même nous conduit au véritable bonheur, qui a pour conditions l’amour de la sagesse, la contemplation du Bien, laquelle est le fruit de la sagesse, et la connaissance des êtres véritables[4]. Dans ce cas, le Dieu nous ordonne de

  1. Voy. Platon, Charmide.
  2. Voy. Enn. IV, liv. I, § 1.
  3. « L’âme est l’image de ce qui est au-dessus d’elle et le modèle de ce qui est au-dessous d’elle. Donc, en se connaissant elle-même et en s’analysant, elle connaît toutes choses sans sortir de sa nature propre. Proclus, Comm. sur le Timée, p. 231. Bossuet dit aussi : « la sagesse consiste à connaître Dieu et à se connaître soi-même. La connaissance de nous-mêmes nous doit élever à la connaissance de Dieu. » (De la connaissance de Dieu et de soi-même, préambule.)
  4. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § 1, t. I, p. li ; et Plotin, Enn. I, liv. IV, § 3.