Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
618
PORPHYRE.


Ainsi, quiconque, par ignorance de soi-même, exalte son extérieur glorifie plus qu’elle ne le veut la nature qui l’a formé : car il admire comme des chefs-d’œuvre des choses que la nature fait en se jouant, tandis que celle-ci paraît estimer chacune de ces choses à sa véritable valeur et ne partage pas l’erreur de ceux qui exaltent ses dons outre mesure. Le précepte Connais-toi toi-même s’applique donc à l’appréciation de toutes nos facultés, puisqu’il nous commande de connaître la mesure de chaque chose. Ce précepte semble signifier qu’il faut connaître notre âme et notre intelligence, parce qu’elles constituent notre essence. Enfin, nous connaître parfaitement nous-mêmes, c’est tout à la fois nous connaître nous-mêmes [c’est-à-dire notre âme], connaître ce qui est nôtre [c’est-à-dire notre corps] et ce qui se rapporte à ce qui est nôtre.

Platon a raison de nous recommander dans le Philèbe de nous séparer de tout ce qui nous entoure et nous est étranger, afin de nous connaître nous-mêmes à fond, de savoir ce qu’est l’homme immortel et ce qu’est l’homme extérieur, image du premier, et ce qui appartient à chacun d’eux. À l’homme intérieur appartient l’intelligence parfaite ; elle constitue l’homme même, dont chacun de nous est l’image. À l’homme extérieur appartient le corps avec les biens qui le concernent. Il faut savoir quelles sont les facultés propres à chacun de ces deux hommes et quels soins il convient d’accorder à chacun d’eux, pour ne pas préférer la partie mortelle et terrestre à la partie immortelle, et devenir ainsi un objet de pitié et de risée dans la tragédie et la comédie de cette vie insensée[1], enfin pour ne pas prêter à la partie immortelle la bassesse de la partie mortelle et devenir misérables et injustes par ignorance de ce que nous devons à chacune de ces deux parties[2].


  1. Expression de Platon, Philèbe, t. II, p. 408 de la trad. de M. Cousin. Olympiodore dit à ce sujet : « Bacchus préside à la génération, à la vie et à la mort, et de là à la tragédie et à la comédie, l’une qui représente la vie et le côté plaisant des choses, l’autre qui peint le malheur et la mort. » (Comm. sur le Phédon, dans Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 402.)
  2. Saint Augustin interprète dans le même sens le précepte Connais-toi toi-même : « Utquid ergo ei [menti] præceptum est ut se ipsam cognoscat ? Credo, ut se ipsum cogitet et secundum naturam suam vivat, id est, ut secundum naturam suam ordinari appetat, sub eo scilicet cui subdenda est, supra ea quibus præponenda est ; sub illo a quo regi debet, supra ea quæ regere debet, etc. » (De Trinitate, X, 5.) Voy. aussi Bossuet, De la connaissance de Dieu et de soi-même, IV, 11.