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JAMBLIQUE.


cipes étendent sur toutes choses. Il vaut mieux dire que la Fortune est l’ordre des choses supérieures et des autres choses [qui sont inférieures] en tant qu’elle préside aux événements, qu’elle en constitue la cause concomitante et qu’elle leur est antérieure. On la regarde tantôt comme un Dieu, tantôt comme un Démon : le principe qui préside aux causes des événements est un Dieu, quand ce sont des causes supérieures, et un Démon, quand ce sont des causes inférieures. Tout a donc une cause, et il n’arrive rien qui soit en dehors de l’ordre universel[1].

VI. Pourquoi donc la justice distributive [de Dieu] ne s’exerce-t-elle pas ici-bas[2] ? C’est une impiété de faire une pareille question : car les vrais biens ne dépendent pas d’un autre principe que de l’homme et de sa volonté. Il est reconnu que ce sont les plus importants pour la volonté, et les doutes que le vulgaire conçoit à cet égard n’ont pas d’autre origine que son ignorance. La vertu trouve sa récompense en elle-même. La fortune ne saurait donc rabaisser l’homme vertueux ; sa grandeur d’âme le met au-dessus de tous les événements. Elle n’est point d’ailleurs contraire à la nature : l’élévation et la perfection de l’âme suffisent pour satisfaire ce qu’il y a de meilleur dans l’homme. Les choses qu’on regarde comme des revers exercent, affermissent et augmentent la vertu ; sans elles, il n’est pas possible d’être un homme de mérite. Les gens vertueux préfèrent l’honnête à toutes choses, font consister le bonheur uniquement dans la perfection de la raison et n’attachent aucun prix au reste. Puisque c’est l’âme qui constitue l’homme, qu’elle est intellectuelle et immortelle, son mérite, son bien et sa fin consistent dans la vie divine, et aucune des choses mortelles ne peut ni contribuer à la vie parfaite ni diminuer sa félicité. En effet, c’est la vie intellectuelle qui fait notre béatitude[3] ; or, aucune des choses intermédiaires ne saurait l’augmenter ni la diminuer. C’est donc à tort que les hommes parlent tant de la fortune et de ses injustes faveurs.


  1. Voy. Plotin, Enn. I, liv. I, § 1.
  2. Plutarque de Chéronée a composé sur ce point un traité intitulé Des Délais de la justice divine.
  3. Voy. Plotin, Enn. I, liv. IV, § 3.