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ÉNÉE DE GAZA.


avant d’entrer dans un corps et qu’elle devienne semblable aux êtres irraisonnables : elle va donc, selon eux, vers ce à quoi elle s’est assimilée, et revêt le corps de tel ou tel animal selon la disposition dans laquelle elle se trouve[1]. Mais après ces philosophes, Porphyre et Jamblique[2], l’un érudit (πολυμαθές (polumathes)), l’autre inspiré (ἔνθους (enthous)), méprisèrent leurs prédécesseurs à cause de la sagesse qu’ils possédaient eux-mêmes et rougirent de l’âne et de l’épervier de Platon ; ils comprirent qu’autre est l’essence de l’âme raisonnable, autre l’essence de l’âme irraisonnable, qu’elles ne se transforment pas l’une dans l’autre, mais demeurent toujours telles qu’elles étaient à l’origine (car la qualité de raisonnable n’est pas pour l’âme un accident passager, mais une différence essentielle et durable), qu’il est impossible enfin que l’essence raisonnable se change en essence irraisonnable, à moins d’admettre que l’essence irraisonnable ne dépouille l’essence raisonnable de son caractère. Ayant fait assez tard toutes ces réflexions, ils mirent de côté les animaux irraisonnables, et, changeant de système, ils enseignèrent que l’homme revit, non dans un âne, mais dans un homme asinin, non dans un lion, mais dans un homme léonin[3] : car, disent-ils, l’âme ne change pas de nature, mais passe seulement dans des corps de forme différente, comme sur le théâtre, les acteurs revêtent tour à tour le masque d’Alcméon et celui d’Oreste[4].

Euxithéus. C’est rattacher du fil avec du fil, comme dit le proverbe, et guérir un mal par un autre. À quoi sert à l’âme d’être délivrée du corps, si elle est renvoyée dans un autre corps ? La mort est superflue, et c’est en vain qu’elle est introduite dans le monde. La vie des coupables ne devait être prolongée que pour prolonger leur châtiment. Autrement, si l’âme qui s’abandonne aux excès, et qu’on voit, dans cette vie, dominée et réduite à une honteuse servitude par une foule de passions, était, pour ce fait, condamnée à revivre dans un homme asinin afin d’être encore plus l’esclave de ses passions, elle trouverait dans son châtiment même la permission de se livrer au vice ; ainsi, au lieu de réprimer la licence, la punition ne servirait qu’à l’augmenter. Cependant la punition est regardée comme la médecine des passions ; elle doit comprimer, couper et retrancher[5], et non exciter, ni irriter, ni susciter une

  1. Voy. Platon, Timée, p. 42, et Plotin, Enn. IV, liv. III, § 12.
  2. Pour l’opinion de Porphyre et de Jamblique sur la métempsycose, Voy. ci-dessus p. 534, p. 645 et p. 646, note I.
  3. Voy. Proclus, Commentaire sur le Timée, p. 329.
  4. Voy. Plotin, Enn. III, liv. II, § 15.
  5. Voy. Plotin, Enn. IV, liv. IV, § 45.