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THÉOPHRASTE.


dans l’ordre général de l’univers les écarts mêmes de la liberté, en ce qu’il se sert du méchant pour punir un autre méchant ou pour éprouver un homme vertueux, sans que l’utilité qu’il tire de l’injustice diminue en rien la culpabilité du méchant[1]. Il ne veut pas que nous fassions le mal pour qu’il concoure à l’ordre de l’univers, mais, quand nous faisons le mal, il le force de concourir à cet ordre[2], en nous laissant toute notre liberté et en se réservant la faculté de nous punir ou de nous récompenser, selon nos mérites, dans une autre vie[3]. — Les infirmités que nous apportons avec nous en naissant tiennent à ce que, dans la génération, par défaut de chaleur et excès d’humidité, la puissance de la semence n’a pas complètement soumis la matière à son pouvoir ; il n’est donc pas besoin de la métempsycose pour rendre raison de ces infirmités, puisqu’elles s’expliquent par des causes physiques, et qu’elles ne sauraient en conséquence être considérées comme des peines infligées par Dieu pour des fautes commises dans une vie antérieure. — Cependant, elles entrent quelquefois dans les desseins de la Providence : il est utile à tel homme d’être aveugle de naissance parce que, s’il eût joui de la vue, il eût été impudique, de même qu’il est utile à tel autre d’être pauvre parce que, s’il eût été riche, il eût fait un mauvais usage de ses richesses, etc.[4]. C’est faute de comprendre le remède appliqué à nos vices par la Providence qu’on accuse sa sagesse et sa bonté. — D’ailleurs, la Providence ne va pas jusqu’à anéantir notre liberté : car, si elle était tout, elle ne serait rien[5]. Elle permet donc que l’intempérance engendre la maladie, que les infirmités des enfants soient les conséquences de la mauvaise disposition dans laquelle leurs parents se trouvaient par leur faute au moment où ils les ont engendrés[6]. — Quant à l’inégalité de la durée de la vie humaine, elle s’explique aussi par les desseins de Dieu sur nous : elle nous oblige à songer toujours à la mort, dont l’idée nous empêche de nous abandonner à nos passions, comme les accidents qui frappent chaque jour quelqu’un de nous nous rappellent notre faiblesse. La manière dont nous supportons les coups de la fortune fait notre honte ou notre gloire[7]. C’est ainsi que les souffrances des hommes vertueux enseignent la vertu aux autres hommes. — En résumé, les maux qui frappent l’homme servent à lui donner une occasion de déployer ses vertus ou à le corriger de ses vices ; s’il ne se corrige pas, son châtiment sert d’exemple aux autres[8]. Ainsi, aucune des choses que nous voyons arriver ici-bas ne nous contraint d’admettre la préexistence de l’âme.

V. La vie actuelle suffit pour servir d’épreuve à l’âme humaine[9].

Euxithéus. Tu as raison [de rejeter la métempsycose], mon ami : car l’âme raisonnable, après cette épreuve, ne voudra pas s’exposer de nouveau à un pareil péril. Il ne nous est pas donné de recom-

  1. Ibid., § 13, p. 51.
  2. Ibid., § 5, p. 34.
  3. Ibid., § 4, p. 31-32 ; § 9, p. 43-44.
  4. Ibid., § 5, p. 33 ; § 13, p. 51.
  5. Ibid., § 9, p. 43.
  6. Ibid., § 8, p. 42-43.
  7. Ibid., § 5, p. 32 ; § 8, p. 42.
  8. Ibid., § 5, p. 34.
  9. Éd. Boissonade, p. 40.