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THÉOPHRASTE.


n’y a rien d’indéterminé. En outre, tout ce qui est composé d’éléments différents se dissout avec le temps. Telle est la condition du monde sensible : car, si les parties qui constituent le tout sont périssables[1], le tout doit nécessairement subir le même sort que les parties qui le constituent, jusqu’à ce qu’il reçoive purement l’immortalité. Tout temps est court pour Dieu et long pour les hommes. Donc, si le nombre des corps mortels est limité, nous ne ferons pas aller à l’infini le nombre des âmes ; leur production s’arrêtera quand s’arrêtera la production des corps qui en ont besoin et leur servent de réceptacles, en sorte que l’utilité est la mesure des âmes et que cette mesure est limitée par le besoin. . . . . . . . . .

Théophraste. Quoi donc ? N’admets-tu pas que le monde n’a pas été engendré et n’a pas eu de commencement ? Comment le Démiurge est-il Démiurge, si le temps existait déjà avant qu’il n’exécutât son œuvre[2] ? »

Euxithéus. Écoute un beau discours, comme on dit[3]. Le Roi de tout, duquel tout procède, le principe et la source des êtres (car il n’est point une source inféconde), le Bien même, le Père de la Sagesse, le Créateur de l’univers, n’a pas engendré dans le temps son Fils soit en puissance soit en acte (car il est éternellement le père du Verbe et de la Sagesse) ; il n’a pas engendré d’une manière passive (car il n’a pas engendré par nécessité) ; il n’a pas eu avec lui une seconde cause pour engendrer (car il n’y avait rien que lui) ; enfin, il ne s’est pas privé de sa puissance en engendrant (car il a toujours en lui celui qu’il a engendré, tout entier dans lui tout entier, remplissant et rempli, parce qu’il voulait être le Père unique du Fils unique). Celui qu’il a engendré n’est point superflu (sinon le Père ne le contiendrait pas en lui-même) ; il est de la même substance que lui (car il n’y a pas de composition en lui). C’est pourquoi le Père a engendré le Verbe substantiellement pour manifester son hypostase et sa puissance en Celui qui est la Raison même, l’intelligence même, et qui rassemble tout en lui par la pensée[4]. Le Père fait tout par lui : car il fallait que l’univers fût fait avec sagesse. Il a tiré de la même substance, en même temps que son Fils. le Saint-Esprit, non malgré sa nature, mais en vertu de sa puissance[5] ; il l’a

  1. Voy. Plotin, Enn. II, liv. I, § 1.
  2. Cette objection est tirée de Porphyre : « La cause créatrice étant éternelle, la création doit être elle-même éternelle sous le rapport du temps, dit Porphyre. » (Zacharie le Scholastique, Ammonius, p. 89. éd. Boissonade.)
  3. Cette expression est empruntée à Platon, Gorgias.
  4. Voy. Plotin, Enn. V, liv. I, § 6.
  5. « Caute hæc intelligenda sunt, ne ex solo Patre procedere Spiritum Sanctum dicere videatur, quæ fuit non incelebris olim hæresis. » (Note de Gaspard de Barth.)