Ennéades (trad. Bouillet)/V/Livre 1

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Les Ennéades de Plotin,
Traduction de M. N. Bouillet
Ennéade V, livre i :
Des trois Hypostases principales | Notes


CINQUIÈME ENNÉADE

LIVRE PREMIER.
DES TROIS HYPOSTASES PRINCIPALES[1].

I. Comment se fait-il que les âmes oublient Dieu, leur père ? Comment se fait-il qu’ayant une nature divine, qu’étant issues de Dieu, elles le méconnaissent et se méconnaissent elles-mêmes ? L’origine de leur mal, c’est l’audace (τόλμα (tolma))[2], la génération, la première diversité, le désir de n’appartenir qu’à elles-mêmes [c’est-à-dire le désir qui a conduit les âmes à se séparer primitivement de Dieu et à s’unir aux corps]. Dès qu’elles ont goûté du plaisir de posséder une vie indépendante, usant largement du pouvoir qu’elles avaient de se mouvoir elles-mêmes, elles se sont avancées dans la route qui les écartait de leur principe, et maintenant elles sont arrivées à un tel éloignement de Dieu (ἀπόστασις (apostasis))[3] qu’elles ignorent même qu’elles en ont reçu la vie. De même que des enfants séparés de leurs familles dès leur naissance et nourris longtemps loin d’elles en arrivent à méconnaître leurs parents ainsi qu’eux-mêmes ; de même les âmes, ne voyant plus ni Dieu ni elles-mêmes, se sont dégradées par l’oubli de leur origine, se sont attachées à d’autres objets, ont admiré tout plutôt qu’elles-mêmes, ont prodigué leur estime et leur amour aux choses extérieures, et, brisant le lien qui les unissait aux choses divines, s’en sont écartées avec dédain. L’ignorance où elles sont de Dieu a donc pour cause leur estime des objets sensibles et leur mépris d’elles-mêmes. Comme chacune d’elles admire et recherche ce qui lui est étranger, elle reconnaît par là même qu’elle vaut moins. Or, dès qu’elle croit moins valoir que ce qui naît et périt, qu’elle se regarde comme plus méprisable et plus périssable que les objets qu’elle admire, elle ne saurait plus concevoir la nature ni la puissance de Dieu.

Pour convertir à Dieu les âmes qui se trouvent dans de pareilles dispositions, pour les élever au Principe suprême, à l’Un, au Premier, il faut raisonner avec elles de deux manières. D’abord, on doit leur faire voir la bassesse des objets qu’elles estiment maintenant (nous en avons parlé suffisamment ailleurs[4]) ; puis, il faut leur rappeler l’origine et la dignité de l’âme. La démonstration de ce second point est [logiquement] antérieure à celle du premier ; exposée avec clarté, elle sert à l’établir.

Nous allons donc aborder la discussion du second point. Elle se rattache et se lie à l’étude de l’objet que nous désirons connaître : car c’est l’âme qui cherche à connaître cet objet ; or elle doit examiner d’abord sa propre nature pour savoir si elle a la faculté de contempler Dieu, s’il lui convient de l’étudier et si elle peut espérer de voir ses recherches couronnées de succès. En effet, si l’âme est étrangère aux choses divines, pourquoi tenter d’en pénétrer la nature ? Si au contraire elle a une étroite affinité avec elles, elle peut et elle doit chercher à les connaître.

II. Voici la première réflexion que toute âme doit faire[5] : c’est l’Âme universelle qui a produit, en leur soufflant un esprit de vie[6], tous les animaux qui sont sur la terre, dans l’air et dans la mer, ainsi que les astres divins, le soleil et le ciel immense ; c’est elle qui a donné au ciel sa forme et qui préside à ses révolutions régulières, et tout cela sans se mêler aux êtres auxquels elle communique la forme, le mouvement et la vie. Elle leur est en effet fort supérieure par son auguste nature : tandis que ceux-ci naissent ou meurent selon qu’elle leur donne la vie ou la leur retire, l’Âme est essence et vie éternelle, parce qu’elle ne saurait cesser d’être elle-même. Mais comment la vie se répand-elle à la fois dans l’univers et dans chaque individu ? Afin de le comprendre, il faut que l’âme contemple l’Âme universelle : or, pour s’élever à cette contemplation, l’âme doit en être digne par sa noblesse, s’être affranchie de l’erreur et s’être dérobée aux objets qui fascinent les regards des âmes vulgaires, être plongée dans un recueillement profond, faire taire autour d’elle, non-seulement l’agitation du corps qui l’enveloppe et le tumulte des sensations, mais encore tout ce qui l’entoure. Que tout se taise donc, et la terre, et la mer, et l’air, et le ciel même[7]. Que l’âme se représente alors la grande Âme qui de tous côtés déborde dans cette masse immobile, s’y répand, la pénètre intimement et l’illumine comme les rayons du soleil éclairent et dorent un nuage sombre. C’est ainsi que l’Âme, en descendant dans le monde, a tiré ce grand corps de l’inertie où il gisait, lui a donné le mouvement, la vie et l’immortalité. Mû éternellement par une puissance intelligente, le ciel est devenu un être plein de vie et de félicité ; et la présence de l’Âme a fait un tout admirable de ce qui n’était auparavant qu’un cadavre inerte, eau et terre, ou plutôt ténèbres de la matière, non-être, objet d’horreur pour les dieux, comme dit le poëte[8].

La nature et la puissance de l’Âme se révèlent encore avec plus d’éclat[9] dans la manière dont elle embrasse et gouverne le monde par sa volonté. Elle est présente dans tous les points de ce corps immense, elle en anime toutes les parties, grandes ou petites. Quoique celles-ci soient placées dans des lieux divers, elle ne se divise pas comme elles, elle ne se fractionne pas pour vivifier chaque individu. Elle vivifie toutes choses en même temps, en restant toujours entière, indivisible, semblable par son unité et son universalité à l’Intelligence qui l’a engendrée[10]. C’est sa puissance qui maintient dans les liens de l’unité ce monde d’une grandeur et d’une variété infinie. Si le ciel, le soleil, les astres sont des dieux, c’est par la présence de l’Âme. C’est par elle que nous-mêmes nous sommes quelque chose ; car un cadavre est plus vil que le vil fumier[11].

Mais si c’est à l’Âme que les dieux doivent d’être des dieux, il faut qu’elle soit elle-même un dieu plus auguste. Or notre âme est conforme à l’Âme universelle. Écartez d’elle tout ce qui l’enveloppe, considérez-la dans son état de pureté, et vous verrez combien l’essence de l’âme est précieuse, combien elle est supérieure à tout ce qui est corps[12]. Sans l’âme, tout corps n’est que terre. Ajoutez à la terre le feu, l’eau et l’air, vous n’aurez encore rien qui mérite votre vénération. Si c’est l’âme qui donne au corps sa beauté, pourquoi oublier l’âme qui est en vous pour aller prostituer votre admiration à d’autres objets ? Si c’est l’âme que vous estimez en eux, estimez-la en vous-même ?

III. Puisque l’essence de l’âme est si divine et si précieuse, sois persuadé que par elle tu peux atteindre Dieu ; avec elle élève-toi à lui. Tu n’auras pas à le chercher loin de toi ; il n’y a pas entre lui et toi plusieurs intermédiaires. Afin de l’atteindre, prends pour guide la partie la plus divine et la plus haute de l’âme, la puissance dont elle procède et par laquelle elle touche au monde intelligible[13]. En effet, malgré la dignité que nous venons de lui reconnaître, l’âme n’est que l’image de l’Intelligence : comme le verbe extérieur [la parole] est l’image du verbe [intérieur] de l’âme, l’âme est elle-même le verbe et l’acte de l’Intelligence[14]. Elle est la vie qui s’en échappe pour former une autre hypostase, de même qu’il y a dans le feu la chaleur latente qui constitue son essence et la chaleur qui en rayonne à l’extérieur. Cependant, l’âme ne sort pas tout entière du sein de l’Intelligence ; elle y demeure en partie, mais elle forme une essence distincte d’elle. Procédant de l’Intelligence, l’âme est intellectuelle, et la manifestation de sa puissance intellectuelle est la raison discursive. L’âme tient sa perfection de l’Intelligence comme elle en tient son existence ; c’est en regard de l’Intelligence seule qu’elle est imparfaite. Elle est donc l’hypostase qui procède de l’Intelligence, et quand elle la contemple, elle est la raison en acte. En effet, quand l’âme contemple l’Intelligence, elle possède intimement les choses qu’elle pense, elle tire de son propre fonds les actes qu’elle produit ; seuls, ces actes intellectuels et purs lui sont vraiment propres. Ceux qui sont d’une nature inférieure viennent d’un principe étranger ; ce sont des passions.

L’Intelligence rend donc l’âme plus divine, parce qu’elle l’engendre et qu’elle lui accorde sa présence. Rien ne sépare l’une de l’autre que la distinction de leur essence. L’âme est avec l’Intelligence dans le même rapport que la matière avec la forme[15]. Or la matière même de l’Intelligence est belle parce qu’elle a une forme intellectuelle (νοοειδής (nooeidês)) et qu’elle est simple. Quelle n’est donc pas la grandeur de l’Intelligence puisqu’elle est plus grande encore que l’âme !

IV. Veut-on arriver par une autre voie à reconnaître la dignité de l’Intelligence ? Après avoir admiré le monde sensible en considérant sa grandeur et sa beauté, la régularité éternelle de son mouvement, les dieux visibles ou cachés, les animaux et les plantes qu’il renferme, qu’on s’élève à l’archétype de ce monde, à un monde plus vrai ; qu’on y contemple tous les intelligibles qui sont éternels comme lui et qui y subsistent au sein de la science et de la vie parfaite. Là préside l’Intelligence pure, la Sagesse ineffable[16] ; là se trouve le vrai royaume de Saturne[17], qui n’est autre chose que l’Intelligence pure. Celle-ci embrasse en effet toute essence immortelle, toute intelligence, toute divinité, toute âme ; et tout y est éternel et immuable. Pourquoi l’Intelligence changerait-elle, puisque son état est heureux ? À quoi aspirerait-elle, puisqu’elle a tout en elle-même ? Pourquoi voudrait-elle se développer, puisqu’elle est souverainement parfaite ? Sa perfection est d’autant plus complète qu’elle ne renferme que des choses qui sont parfaites et qu’elle les pense ; et elle les pense, non parce qu’elle cherche à les connaître, mais parce qu’elle les possède[18]. Sa félicité n’a rien de contingent : l’Intelligence possède tout dès l’éternité ; elle est elle-même l’Éternité véritable, dont le Temps offre la mobile image dans la sphère de l’âme. En effet, l’âme a une action successive, divisée par les objets divers qui attirent son attention : elle se représente tantôt Socrate, tantôt un cheval ; elle ne saisit jamais qu’une partie de la réalité, tandis que l’Intelligence embrasse toujours toutes choses simultanément. L’Intelligence possède donc toutes choses immobiles dans l’identité. Elle est : il n’y a jamais pour elle que le présent[19] ; point de futur : car elle est déjà ce qu’elle peut être plus tard ; point de passé ; car nulle des choses intelligibles ne passe ; toutes subsistent dans un éternel présent, toutes restent identiques, satisfaites de leur état actuel. Chacune est intelligence et être ; toutes ensemble, elles sont l’Intelligence universelle, l’Être universel.

L’Intelligence existe [comme Intelligence] parce qu’elle pense l’Être. L’Être existe [comme Être] parce que, étant pensé, il fait exister et penser l’Intelligence[20]. Il y a donc une autre chose qui fait penser l’Intelligence et exister l’Être, et qui est par conséquent principe commun de tous deux : car ils sont contemporains dans l’existence, ils sont consubstantiels et ne peuvent se manquer l’un à l’autre. Comme l’Intelligence et l’Être constituent une dualité, leur principe commun est cette unité consubstantielle qu’ils forment et qui est simultanément l’Être et l’intelligence, le sujet pensant et l’objet pensé : l’Intelligence, comme sujet pensant ; l’Être, comme objet pensé : car la pensée implique à la fois différence et identité.

Les premiers principes sont donc l’Être, l’Intelligence» l’Identité et la Différence ; il faut y joindre le Mouvement et le Repos[21]. Le repos est la condition de l’identité; le mouvement est la condition de la pensée, puisque celle-ci suppose la différence du sujet pensant et de l’objet pensé, et qu’elle est muette si on la réduit à l’unité. Les éléments de la pensée [le sujet et l’objet] doivent ainsi être dans un rapport de différence, mais aussi dans un rapport d’identité, parce qu’ils forment une unité consubstantielle, et qu’il y a quelque chose de commun dans tout ce qui dérive d’eux. La différence d’ailleurs n’est pas ici autre chose que la distinction. La pluralité que forment les éléments de la pensée constitue la Quantité et le Nombre[22] ; et le caractère propre à chaque élément, la Qualité[23]. De ces premiers principes [qui sont les genres de l’être] dérivent toutes choses.

V. Ainsi, l’âme humaine est pleine de cette Divinité [de l’Intelligence] ; elle y est rattachée par ces essences, si elle ne s’éloigne pas d’elle. Elle approche d’elle, et, ramenée à l’unité, elle se demande : Qui a engendré cette Divinité ? — C’est Celui qui est simple, qui est antérieur à toute multiplicité, qui donne à l’Intelligence son existence et sa multiplicité, qui produit le Nombre par conséquent : car le Nombre n’est pas une chose primitive ; l’Un est antérieur à la Dyade. Celle-ci ne tient que le second rang : elle est engendrée et définie par l’Un, indéterminée qu’elle est par elle-même. Une fois définie, elle est nombre en tant qu’elle est essence. Car [à ce titre] l’Âme aussi est un nombre[24].

D’ailleurs, toute chose qui est une masse ou une grandeur ne saurait occuper le premier rang dans la nature ; il faut regarder comme inférieurs ces objets grossiers que la sensation prend pour des êtres[25]. Dans les semences, ce n’est pas l’élément humide qu’il faut estimer, mais le principe invisible, le nombre et la raison [séminale]. Nous nommons ici nombre et dyade les raisons [idées] et l’Intelligence. La dyade est indéterminée en tant qu’elle joue le rôle de substratum [par rapport à l’Un]. Le nombre qui dérive de la dyade et de l’Un constitue toute espèce d’idée (εἶδος (eidos)), en sorte que l’Intelligence a une forme qui est déterminée par les idées engendrées dans son sein. Elle tient sa forme, en une façon de l’Un, et en une autre façon, d’elle-même, semblable à la vue qui est en acte. La pensée, c’est la vue en acte, et ces deux choses [la faculté et l’acte] n’en font qu’une.

VI. Comment l’Intelligence voit-elle et qui voit-elle ? Comment est-elle sortie et née de l’Un, de manière qu’elle puisse le voir ? Car maintenant l’âme comprend qu’il est nécessaire que ces principes existent. Elle désire résoudre ce problème souvent posé chez les anciens sages : Si l’Un a la nature que nous lui avons assignée, comment tout tient-il de lui sa substance (ὑπόστασιν ἔσχεν (hypostasin eschen))[26], la multitude, la dyade, le nombre ? Pourquoi n’est-il pas resté en lui-même, et a-t-il laissé ainsi découler de lui la multiplicité qu’on voit dans les êtres et que nous voulons ramener à lui ? Nous allons le dire. Invoquons d’abord Dieu même, non en prononçant des paroles, mais en élevant notre âme jusqu’à lui par la prière ; or, la seule manière de le prier, c’est de nous avancer solitairement vers l’Un, qui est solitaire. Pour contempler l’Un, il faut se recueillir dans son for intérieur, comme dans un temple, et y demeurer tranquille, en extase (έπέϰεινα ἁπάντων (epekeina hapantôn)), puis considérer les statues qui sont pour ainsi dire placées dehors [l’Âme et l’Intelligence], et avant tout la statue qui brille au premier rang [l’Un], en la contemplant de la manière que sa nature exige[27].

Il est nécessaire que tout être qui est mû ait un but vers lequel il soit mû ; nous devons donc admettre que ce qui n’a pas de but vers lequel il soit mû reste immobile, et que ce qui naît de ce principe doit en naître sans que jamais ce principe cesse d’être tourné vers lui-même. Éloignons de notre esprit l’idée d’une génération opérée dans le temps : il s’agit ici de choses éternelles ; en leur appliquant le terme de génération, nous voulons seulement établir entre elles un rapport d’ordre et de causalité[28]. Ce qui est engendré par l’Un doit être engendré par lui sans que l’Un soit mû ; s’il était mû, ce qui est engendré par lui tiendrait, par suite de ce mouvement, le troisième rang au lieu du second [serait l’Âme au lieu d’être l’Intelligence]. Donc, puisque l’Un est immobile, c’est sans consentement, sans volonté, sans aucune espèce de mouvement, qu’il produit l’hypostase qui tient le second rang[29]. Comment donc faut-il concevoir la génération de l’Intelligence par cette cause immobile ? C’est le rayonnement d’une lumière qui s’en échappe sans troubler sa quiétude, semblable à la splendeur qui émane perpétuellement du soleil sans qu’il sorte de son repos, et qui l’environne sans le quitter. Ainsi toutes les choses, tant qu’elles persévèrent dans l’être, tirent nécessairement de leur propre essence et produisent au dehors une certaine nature qui dépend de leur puissance et qui est l’image de l’archétype dont elle provient[30]. Ainsi le feu répand la chaleur hors de lui ; la neige répand le froid. Les parfums donnent un exemple frappant de ce fait : tant qu’ils durent, ils émettent des exhalaisons auxquelles participe tout ce qui les entoure. Tout ce qui est arrivé à son point de perfection engendre quelque chose. Ce qui est éternellement parfait engendré éternellement, et ce qu’il engendre est éternel, mais inférieur au principe générateur. Que faut-il donc penser de Celui qui est souverainement parfait ? N’engendre-t-il pas[31] ? Tout au contraire, il engendre ce qu’il y a de plus grand après lui. Or, ce qu’il y a de plus parfait après lui, c’est le principe qui tient le second rang, l’Intelligence. L’Intelligence contemple l’Un, et n’a besoin que de lui ; mais l’Un n’a pas besoin de l’Intelligence. Ce qui est engendré par le Principe supérieur à l’Intelligence ne peut être que l’Intelligence[32] : car elle est ce qu’il y a de meilleur après l’Un, puisqu’elle est supérieure à tous les autres êtres. L’Âme est en effet le verbe et l’acte de l’Intelligence, comme l’Intelligence est le verbe et l’acte de l’Un. Mais l’Âme est un verbe obscur. Étant l’image de l’Intelligence, elle doit contempler l’Intelligence, comme celle-ci doit, pour subsister, contempler l’Un. Si l’Intelligence contemple l’Un, ce n’est pas qu’elle s’en trouve séparée, c’est seulement parce qu’elle est après lui. Il n’y a nul intermédiaire entre l’Un et l’Intelligence, non plus qu’entre l’Intelligence et l’Âme. Tout être engendré désire s’unir au principe qui l’engendre, et il l’aime, surtout quand Celui qui engendre et Celui qui est engendré sont seuls. Or, quand Celui qui engendre est souverainement parfait, Celui qui est engendré doit lui être si étroitement uni qu’il n’en soit séparé que sous ce rapport qu’il en est distinct[33].

VII. L’Intelligence est, disons-nous, l’image de l’Un. Expliquons cette assertion. Elle en est l’image parce qu’elle est sous un certain rapport nécessairement engendrée par lui, qu’elle a beaucoup de la nature de son Père, et qu’elle lui ressemble comme la lumière ressemble au soleil. Mais l’Un n’est pas intelligence ; comment l’hypostase engendrée par l’Un peut-elle donc être l’Intelligence ? C’est que, par sa conversion vers l’Un, elle le voit ; or cette vision (ὄρασις (orasis))[34] constitue l’Intelligence. Toute faculté qui perçoit un autre être est sensation ou intelligence : la sensation est semblable à la ligne droite, et l’intelligence, au cercle[35]. Toutefois, le cercle est divisible, et l’Intelligence est indivisible : elle est une, mais, en même temps qu’elle est une, elle est la puissance de toutes choses. Or la pensée considère toutes ces choses [dont l’Intelligence est la puissance] en se séparant en quelque sorte de cette puissance ; sinon, l’Intelligence n’existerait pas. En effet, l’Intelligence a conscience de ce que peut sa puissance, et cette conscience constitue son essence. Par conséquent, l’Intelligence détermine son essence par elle-même, au moyen de la puissance qu’elle tient de l’Un, et, en même temps, elle voit que son essence est une partie des choses qui appartiennent à l’Un et qui en procèdent ; elle voit qu’elle doit toute sa force à l’Un, que c’est par lui qu’elle a le privilége d’être une essence ; elle voit qu’étant elle-même divisible, elle tient de l’Un, qui est indivisible, toutes les choses qu’elle possède, la vie, la pensée, parce que l’Un n’est aucune de ces choses. Tout dérive en effet de l’Un parce qu’il n’est pas contenu dans une forme déterminée ; il est l’Un simplement, tandis que dans l’ordre des êtres l’Intelligence est toutes choses. Aussi l’Un n’est-il aucune des choses que contient l’Intelligence ; il est seulement le principe dont elles procèdent toutes ; voilà pourquoi elles sont des essences : car elles sont déjà déterminées, et chacune a une sorte de forme. L’Être doit être contemplé, non dans l’indétermination, mais au contraire dans la détermination et le repos. Or, le repos consiste pour les intelligibles dans la détermination et la forme par lesquelles ils subsistent.

L’Intelligence qui mérite d’être appelée l’Intelligence la plus pure n’a donc pu naître que du Premier principe. Elle a dû, dès sa naissance, engendrer tous les êtres, toute la beauté des idées, tous les dieux intelligibles : car elle est pleine des choses qu’elle a engendrées ; elle les dévore, en ce sens qu’elle les retient en elle-même, qu’elle ne les laisse pas tomber dans la matière ni être nourries par Rhéa[36]. C’est ce que font entendre les mystères et les mythes : « Saturne, est-il dit, le plus sage des dieux, naquit avant Jupiter et il dévorait ses enfants. » Saturne représente ici l’Intelligence pleine de ses conceptions et parfaitement pure[37]. — Ils ajoutent : « Jupiter, dès qu’il fut grand, engendra à son tour. » — L’Intelligence, dès qu’elle est parfaite, engendre l’Âme, par cela même qu’elle est parfaite et qu’une si grande puissance ne doit pas rester stérile. Ici encore l’être engendré devait être inférieur à son principe, en représenter l’image, être par lui-même indéterminé, puis être déterminé et formé par le principe qui l’engendre. Ce que l’Intelligence engendre, c’est une raison, une hypostase dont l’essence est de raisonner. Celle-ci se meut autour de l’Intelligence ; elle est la lumière qui l’entoure, le rayon qui en jaillit. D’un côté, elle est liée à l’Intelligence, elle s’en remplit, elle en jouit, elle y participe, elle en tient ses opérations intellectuelles ; d’un autre côté, elle est en contact avec les choses inférieures, ou plutôt, elle les engendre. Étant ainsi engendrées par l’Âme, ces choses sont nécessairement moins bonnes qu’elles, comme nous l’expliquerons plus loin. À l’Âme finit l’ordre des choses divines.

VIII. Voici comment Platon établit trois degrés dans la hiérarchie des êtres : « Tout est, dit-il, autour du Roi de tout[38]. » Il parle ici des choses du premier ordre. Il ajoute : « Ce qui est du second ordre est autour du second principe, et ce qui est du troisième ordre est autour du troisième principe. » Platon dit encore que Dieu est le père de la cause[39] ; par cause, il entend l’Intelligence : car, chez ce philosophe, c’est elle qui joue le rôle de Démiurge. Il ajoute que c’est lui qui forme l’Âme dans le cratère[40]. La Cause étant l’Intelligence, Platon nomme Père le Bien absolu, le Principe supérieur à l’Intelligence et à l’Essence.

Dans plusieurs passages, il appelle Idée l’Être et l’Intelligence. Il enseigne donc que du Bien naît l’Intelligence ; et de l’Intelligence, l’Âme. Cette doctrine n’est pas nouvelle : elle fut professée dès les temps les plus anciens, mais sans être développée explicitement ; nous ne voulons ici qu’être les interprètes des premiers sages et montrer par le témoignage même de Platon qu’ils avaient les mêmes dogmes que nous[41].

Le premier qui ait professé cette doctrine est Parménide, qui identifie l’être et l’intelligence et ne place pas l’être dans les choses sensibles : « Car, dit-il, la pensée est la même chose que l’être[42].» Il ajoute que l’être est immobile[43], tout en lui accordant la pensée ; il refuse à l’être tout mouvement corporel, afin qu’il demeure toujours le même. Il le compare encore à une sphère[44], parce qu’il contient tout enveloppé dans son sein, et qu’il ne tire pas la pensée du dehors, mais de lui-même. Quand il le nomme un dans ses écrits, il veut parler de sa Cause, comme s’il reconnaissait que cette unité [de l’être intelligible] implique multiplicité. Il parle dans le dialogue de Platon avec plus d’exactitude et distingue trois principes : le premier, l’Un absolu ; le second, l’Un multiple ; le troisième, l’Un et multiple. Il reconnaît donc avec nous trois natures[45].

IX. Anaxagore, qui reconnaît une Intelligence pure et sans mélange[46], admet aussi que le premier principe est simple et que l’Un est séparé des choses sensibles. Mais, venu dans des temps trop anciens, il n’a pas traité nettement cette question.

Héraclite a connu l’Un éternel et intelligible : car il professe que les corps deviennent sans cesse et sont dans un état d’écoulement perpétuel[47].

Dans le système d’Empédocle, la Discorde divise et la Concorde unit ; or, ce second principe est posé comme incorporel, et les éléments jouent le rôle de matière[48].

Aristote, qui vécut à une époque postérieure, dit que le premier principe est séparé [des choses sensibles] et qu’il est intelligible[49]. Mais, en affirmant qu’il se pense lui-même, il le fait déchoir du premier rang. Il admet aussi d’autres intelligibles en nombre égal à celui des sphères célestes, pour que chacune ait un moteur[50] ; il professe ainsi sur les intelligibles une autre théorie que Platon, et comme il n’a pas de raison plausible, il allègue la nécessité. On pourrait lui faire ici une objection fondée : il semble plus raisonnable d’admettre que toutes les sphères coordonnées par rapport à un seul plan se rapportent toutes à l’Un et au Premier. On aurait le droit de poser aussi cette question : les intelligibles [pour Aristote] dépendent-ils de l’Un, du Premier, ou bien y a-t-il plusieurs principes pour les intelligibles ? — Si les intelligibles dépendent de l’Un, ils seront sans doute disposés symétriquement, comme le sont dans le monde sensible les sphères dont chacune en renferme une autre, et dont une seule, extérieure aux autres, les contient et les domine toutes. Ainsi, dans ce cas, le premier intelligible enveloppera toutes choses là-haut et sera le monde intelligible. De même que les sphères ne sont pas vides, que la première est pleine d’astres, que chacune des autres en est pleine aussi, de même là-haut les moteurs contiendront beaucoup de choses, et tout aura une existence plus réelle. — D’un autre côté, si chacun des intelligibles est principe, tous seront contingents. Comment alors uniront-ils leur action et concourront-ils par leur accord à produire tous un seul effet, qui est l’harmonie du ciel ? Pourquoi dans le ciel les choses sensibles sont-elles égales en nombre aux moteurs intelligibles ? Enfin, pourquoi ceux-ci sont-ils plusieurs, puisqu’ils sont incorporels et que nulle matière ne les sépare les uns des autres ?

Aussi, ceux des anciens qui ont le plus fidèlement suivi la doctrine de Pythagore, de ses disciples et de Phérécyde, se sont-ils surtout occupés de l’intelligible. Les uns ont consigné leurs opinions dans leurs ouvrages ; d’autres les ont exposées seulement dans des entretiens que l’écriture n’a pas conservés. Il en est d’autres enfin qui ne nous ont rien laissé sur ce sujet.

X. Ainsi, il faut admettre qu’au-dessus de l’Être est l’Un : nous l’avons démontré autant que la raison le désirait, autant qu’il est possible de démontrer quand on traite de pareilles questions. Au second rang sont l’Être et l’Intelligence ; au troisième, l’Âme. Mais, s’il y a dans la nature trois principes, comme nous venons de le dire, l’Un, l’Intelligence, l’Âme, il doit y avoir aussi en nous trois principes. Je ne veux pas dire que ces trois principes soient dans les choses sensibles : car ils en sont séparés ; ils sont hors du monde sensible, comme les trois principes divins sont hors de la sphère céleste, et ils constituent l’homme intérieur, selon l’expression de Platon[51]. Notre âme est donc quelque chose de divin : elle a une nature autre [que la nature sensible] et conforme à celle de l’Âme universelle. Or, l’âme parfaite possède l’intelligence ; mais il y a l’intelligence qui raisonne [la raison discursive], et l’intelligence qui fournit tous les principes du raisonnement [l’intelligence pure]. La raison discursive de l’âme n’a besoin pour s’exercer d’aucun organe corporel[52] ; dans ses opérations, elle conserve toute sa pureté, en sorte qu’elle est capable de raisonner purement. Séparée du corps, elle doit sans hésitation être mise au premier rang des choses intelligibles. Il n’est pas besoin de la placer dans un lieu ; il faut la concevoir hors de tout lieu : car, si elle existe par elle-même, hors du corps, d’une manière immatérielle, c’est qu’elle n’est pas mélangée au corps, qu’elle n’a rien de sa nature. Aussi Platon dit-il : « Dieu a répandu l’Âme » autour du monde[53]. » Il veut faire entendre qu’une partie de l’âme demeure dans le monde intelligible. Il dit aussi, en parlant de notre âme : « elle cache sa tête dans le ciel[54]. » Il recommande également de séparer l’âme du corps[55] ; il ne parle pas d’une séparation locale, que la nature seule établit ; il veut que l’âme n’incline pas vers le corps, ne s’abandonne pas aux fantômes de l’imagination, et ne devienne pas ainsi étrangère à la raison ; il veut qu’elle tâche d’élever avec elle au monde intelligible sa partie inférieure, qui est établie dans le monde sensible et qui est occupée à façonner le corps[56].

XI. Puisque l’âme raisonnable porte des jugements sur le juste et le beau et décide si tel objet est beau, si telle action est juste, il doit y avoir une justice et une beauté immuables d’où la raison discursive tire ses principes[57] ; sinon, comment pourrait-elle raisonner ? Si l’âme tantôt raisonne sur la justice et sur la beauté, tantôt ne raisonne pas sur ces choses, il faut que nous ayons en nous l’Intelligence qui, au lieu de raisonner, possède toujours la justice et la beauté ; enfin, il faut que nous ayons en nous la cause et le principe de l’Intelligence, Dieu, qui n’est point divisible, qui subsiste, non dans un lieu, mais en lui-même, qui est contemplé par une multitude d’êtres, par chacun des êtres aptes à le recevoir, mais qui reste distinct de ces êtres, de même que le centre subsiste en lui-même, tandis que les rayons viennent tous aboutir à lui de tous les points de la circonférence[58]. C’est ainsi que nous-mêmes, par une des parties de nous-mêmes, nous touchons à Dieu, nous nous y unissons, nous y sommes en quelque sorte suspendus (έφαπτόμεθα, σύνεσμεν, ἀνηρτήμεθα (ephaptometha, sunesmen, anêrtêmetha)) ; or, nous sommes édifiés en lui (ἐνιδρύμεθα (enidrumetha)) quand nous nous tournons vers lui[59].

XII. Comment peut-il se faire que nous possédions des principes si relevés à notre insu et sans nous en occuper le plus souvent ? Car il y a même des hommes qui ne s’en occupent jamais. — Néanmoins ces principes, c’est-à-dire, l’Intelligence et le principe supérieur à l’Intelligence, lequel demeure toujours en lui-même [c’est-à-dire l’Un], ces principes, dis-je, agissent sans cesse. Il en est de même de l’âme : elle se meut toujours ; mais les opérations qui se produisent en elle ne sont pas toujours perçues : elles ne viennent jusqu’à nous que lorsqu’elles arrivent à se faire sentir. Quand la faculté qui agit en nous ne transmet pas son action à la puissance qui sent, cette action ne se communique pas à l’âme entière[60] ; nous n’en avons pas connaissance, parce que, bien que nous possédions la sensibilité, ce n’est pas seulement cette puissance, c’est l’âme tout entière qui constitue l’homme[61]. Chaque puissance de l’âme, tant que la vie dure, exerce par elle-même sa fonction propre ; mais nous ne le savons que lorsqu’il y a communication et ' perception. Pour avoir ainsi perception des choses qui sont en nous, il faut tourner vers elles notre faculté perceptive pour qu’elle y applique toute son attention[62]. La personne qui désire entendre un son néglige les autres et lui prête l’oreille quand il approche. Ainsi, nous devons ici fermer nos sens à tous les bruits qui nous assiégent, à moins que la nécessité ne nous force de les entendre, et conserver notre faculté perceptive pure et prête à écouter les voix qui viennent d’en-haut.


    Voy. aussi dans le même volume Jamblique, De l’Âme, p. 628.

  1. Pour les Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre à la fin du volume.
  2. C’est un terme dont se servaient les Pythagoriciens pour désigner la dyade, comme osant la première se séparer de l’unité. Voy. t. II, p. 644, note 6.
  3. Ce passage de Plotin est reproduit presque textuellement dans un morceau de saint Augustin que nous ayons cité in extenso dans le tome II, p. 547 : « Recordare, si placet, satis nos superius tractasse superbia labi animant ad actiones quasdam potestatis suæ, et, universali lege neglecta, in agenda quaædam privata cecidisse, quod dicitur apostare a Deo, etc. »
  4. Voy. Enn. I, liv. III, § 1 ; t. I, p. 63.
  5. Ce beau morceau de Plotin doit être rapproché d’un passage analogue qui se trouve dans l’Ennéade II, liv. ii, § 3 ; t. II, p. 27. Il est cité par saint Cyrille en ces termes : « Au lieu de l’Esprit-Saint, les philosophes grecs les plus illustres admettent comme troisième principe l’Âme, qui donne la vie à tous les animaux et ils lui attribuent toutes les puissances et les opérations de l’Esprit-Saint. Voici comment Plotin s’exprime à ce sujet, etc. » (Contre Julien, VIII, p. 275.)
  6. Les termes employés ici par Plotin : ἐμπνεύσασα αὐτοῖς ζωὴν (empneusasa autois zôên), rappellent l’expression de la Genèse, II, 7 : ἐνέφυσεν εἰς τὸ πρόσωπον αύτοῦ πνοὴν ζωῆς. (enephusen eis prosôpon autou pnoên zôês). Voy., t. II, p. 297, note 1.
  7. Ce passage de Plotin a été imité par saint Augustin dans le morceau suivant : « Si cui sileat tumultus carnis, sileant phantasiœ terrœ et aquarum et aeris, sileant et poli, et ipsa sibi anima sileat, et transeat se non cogitando, etc. » (Confessiones, IX, 10). Ce même passage de Plotin a été aussi imité par Proclus : « Réduisons au silence l’opinion, l’imagination et les passions qui nous empêchent de nous élever au Premier ; que l’air même, que l’univers soit calme autour de nous, etc. » (Théologie selon Platon, II, 11.)
  8. Voy. Homère, Iliade, chant XX, vers 65.
  9. Saint Cyrille cite aussi ce passage en ces termes : « Voici comment Plotin s’exprime encore au sujet de l’Âme du monde qui est pour lui, je crois, là même chose que l’Esprit-Saint… Ne nous montre-t-il pas par ces paroles la puissance créatrice et vivifiante de l’Esprit-Saint, qui, ainsi que je l’ai dit, donne le mouvement à tout ce qui se meut, contient, anime et vivifie l’univers ? etc. » (Contre Julien, VIII, p. 275-276.)
  10. « Voy. Enn. VI, liv. IV, § 4.
  11. Plutarque attribue cette expression à Héraclite : νέϰυες γὰρ ϰοπρίων ἐϰϐλητότεροι ϰαθ’ Ἡράϰλειτον (nekues gar kopriôn ekblêtoteroi kath’ Hêrakleiton) (Banquet, IV, 4).
  12. Voy. Enn. IV, liv. VII, § 10 ; t. II, p. 468.
  13. Ce passage est cité par saint Cyrille, Contre Julien, VIII, p. 276.
  14. Voy. Enn. I, liv. II, § 3, t. I, p. 56 ; Enn. I, liv. III, § 11, t. II, p. 288, note 4.
  15. Voy. Enn. I, liv. IX, n° 5 ; t. II, p. 244.
  16. Ce beau passage est cité par Eusèbe, Préparation évangélique, XI, 17.
  17. Voy. le passage du Cratyle de Platon que nous citons ci-après, p. 17, note 2. Proclus fait allusion à cette phrase de Plotin dans son Commentaire sur le Timée (p. 93) : « Il y a aussi le Père et le Créateur, que Plotin sépare de la matière et place dans le monde intelligible, appelant intelligible tout ce qui est entre l’Un et le monde sensible. C’est là en effet que se trouve, selon Plotin, le véritable ciel, le royaume de Saturne et l’Intelligence de Jupiter. C’est comme si l’on disait que la sphère de Saturne, celle de Jupiter et celle de Mars sont dans le ciel : car l’intelligible pris dans sa totalité est unité-pluralité, et l’unité de l’intelligence contient une pluralité d’intelligibles. Telle est la théorie de Plotin. » Voy. Macrobe, Comm. sur le Songe de Scipion, I, 11.
  18. Voy. Enn. I, liv. VIII, § 2, t. I, p. 118-119 ; Enn. II, liv. IX, § 1, t. I, p. 260, et note. Les termes dont se sert Plotin rappellent ceux d’Aristote : « La pensée en soi est la pensée de ce qui est en soi le meilleur, et la pensée par excellence est la pensée de ce qui est le bien par excellence. L’intelligence se pense elle-même en saisissant l’intelligible : car elle devient intelligible elle-même à ce contact, à ce penser. Il y a donc identité entre l’intelligence et l’intelligible : car la faculté de percevoir l’intelligible et l’essence, voilà l’intelligence ; et l’actualité de l’intelligence, c’est la possession de l’intelligible. Ce caractère divin, ce semble, de l’intelligence, se trouve donc au plus haut degré dans l’intelligence divine ; et la contemplation est la jouissance suprême et le souverain bonheur. » (Métaphysique, XII, 7.)
  19. Voy. Enn. III, liv. VII, § 2-4 ; t. II, p. 174-181.
  20. Voy. ci après Enn. V, liv. IX, § 2, 7.
  21. Voy. Enn. VI, liv. II.
  22. Voy. Enn. VI, liv. VI.
  23. Voy. Enn. VI, liv. III.
  24. Voy. Enn. III, liv. VI, § 1, t. II, p. 125, note 2.
  25. « Si toute puissance n’a ni figure ni couleur (car Platon dit qu’on ne voit ni la forme ni la couleur d’une puissance), évidemment toute puissance est incorporelle en soi. En effet, tout corps, étant limité, participe à la figure. C’est pour cela que Plotin dit avec raison qu’il y a de grosses masses qui ont peu de force, de petites masses qui en ont beaucoup, de sorte que la force ou la faiblesse n’est pas proportionnée à la masse matérielle. » (Proclus, Comm. sur la République, p. 425.) Le passage de Plotin cité ici par Proclus appartient à l’Enn. IV, liv. VII, § 8 ; t. II, p. 455.
  26. Voy. le passage de Victorinus cité dans le tome II, p. 562.
  27. Plotin fait ici allusion aux mystères. Voy. Plotin, Enn. VI, liv. IX, § 11.
  28. Voy. le passage de Victorinus cité dans le tome II, page 559, note 1.
  29. À partir de cette phrase, toute la fin du § 6 est citée par Eusèbe, Préparation évangélique, XII, 17.
  30. Voy. ci-après, Enn. V, liv. IV, § 1.
  31. Saint Cyrille cite ce passage en ces termes : « Plotin, qui approfondit les questions et qui est arrivé, si je puis le dire, au plus haut degré de subtilité, s’exprime de la manière suivante sur le Bien, etc. » (Contre Julien, VIII, p. 273.) Voy. aussi le passage de Théodoret que nous avons déjà cité dans le tome I, p. 257, note 2.
  32. Saint Cyrille fait sur ce passage les réflexions suivantes : « Ainsi Plotin appelle Intelligence le Verbe divin, que nous nommons aussi la Sagesse, sauf que nous n’admettons pas que le Fils soit en rien inférieur à la gloire et à la majesté du Père. Car nous ne disons pas qu’il doive contempler le Père pour arriver à la perfection, comme s’il n’était point parfait par lui-même, ainsi que l’admettent ces philosophes, selon qui l’Intelligence a besoin du premier principe et le contemple pour arriver à posséder toute la perfection que comporte sa nature. C’est ainsi encore que, selon ces mêmes philosophes, l’Âme, qui occupe le troisième rang après le premier principe, a besoin de contempler l’Intelligence et de participer à ce second principe pour être ce qu’elle doit être, etc. » (Contre Julien, VIII, p. 273.)
  33. Saint Cyrille cite cette phrase en ces termes : « Nous trouverons chez les philosophes grecs eux-mêmes la connaissance de la sainte Trinité. Ils disent en effet que les trois natures sont étroitement unies entre elles, sans aucun intermédiaire, et que l’Âme, qui occupe le troisième rang, est avec l’Intelligence, qui occupe le second rang, dans le même rapport que l’Intelligence est avec le Premier. Que ces philosophes établissent entre ces natures le rapport qui existe entre celui qui engendre et celui qui est engendré, c’est ce que prouvent les paroles suivantes de Plotin… Vous entendez comme il affirme que Celui qui est engendré est étroitement uni à Celui qui engendre, qu’il n’en est pas séparé, qu’il lui est naturellement attaché, qu’il n’y a pas d’intermédiaire entre eux, qu’ils sont séparés seulement sous ce rapport qu’ils sont distincts, non par leur nature, mais par la différence qui existe entre Celui qui engendre et Celui qui est engendré en tant que l’un engendre et que l’autre est engendré. » (Contre Julien, VIII, p. 273-374.) Voy. aussi les passages de saint Augustin que nous avons cités dans le tome I, p. 323, et dans le tome II, p. 555-559.
  34. Sur l’intuition intellectuelle, Voy. Enn. III, liv. VIII, § 10 ; t. II, p. 234.
  35. C’est une idée empruntée à Platon, Lois, X, p. 893. Plotin est cité sur ce point avec Platon lui-même par Damascius : « L’identité, la perpétuité et les autres caractères analogues sont les attributs de l’immuable. C’est pourquoi, comme le dit Plotin [Enn. II, liv. II, § 3 ; t. II, p. 164], le mouvement circulaire imite sous ce rapport l’intelligence, ou plutôt, comme le dit Platon dans le livre X des Lois, cette image du mouvement de l’intelligence a été créée pour être l’apparence immuable de la véritable immutabilité. » (Des Principes, éd. Kopp, p. 322.) Voy. aussi Olympiodore, Commentaire sur le 1er Alcibiade, p. 103, éd. Creuzer.
  36. Sur Rhéa, qui personnifie ici la matière, Voy. notre tome II, p. 169, note 2.
  37. « Il est naturel que Jupiter soit le fils d’une intelligence supérieure ; et en effet, le nom de Cronos [Saturne] est un composé de deux parties, dont la première, ϰόρος (koros), signifie, non pas le fils, mais bien ce qu’il y a de plus pur dans l’intelligence, νόος (noos). Cronos, à son tour, est fils d’Uranos (le Ciel) : on a très-bien appelé Uranie, Οὐρανία, ὁρῶσα τα ἄνω (Ourania, horôsa ta anô), la contemplation des choses d’en haut, d’où vient l’intelligence pure, s’il en faut croire les hommes qui s’occupent des choses célestes et qui trouvent que le Ciel a été bien nommé Uranos. » (Platon, Cratyle, trad. de M. Cousin, t. XI, p. 39.) Voy. aussi notre tome II, p. 107.
  38. « Tout est autour du Roi de tout ; il est la fin de tout ; il est la cause de toute beauté. Ce qui est du second ordre est autour du second principe, et ce qui est du troisième ordre est autour du troisième principe. » (Platon, Lettre 2, p. 312.) Voy. encore Enn. I, liv. VIII, § 2 ; t. I, p. 119.
  39. Voy. Timée, p. 34.
  40. Voy. Timée, p. 43.
  41. Voy. sur ce point les Éclaircissements du tome I, p. 498. Ce passage est cité par saint Cyrille, Contre Julien, IV, p. 145.
  42. τὸ γὰρ ἀυτὸ νοεῖν ἐστί τε ϰαὶ εἶναι (to gar auto noein esti te kai einai). Ce vers est cité aussi par Clément d’Alexandrie, Stromates, VI, p. 627.
  43. « Mais l’être est immobile dans les limites de ses grands liens ; il n’a ni commencement ni fin, puisque la naissance et la mort se sont retirées fort loin de lui, et que la conviction vraie les a repoussées. Il reste donc le même en lui-même et demeure en soi ; ainsi il reste stable : car une forte unité le retient sous la puissance des liens et le presse tout autour. C’est pourquoi il n’est pas admissible qu’il ne soit pas infini : car il est l’être qui ne manque de rien, et s’il ne l’était pas, il manquerait de tout. » (Parménide, vers cités par Simplicius, Comm. sur la Physique d’Aristote, fol. 9.)
  44. « Or, l’être possède la perfection suprême, étant semblable à une sphère entièrement ronde. » (Parménide, vers cités par Platon, Sophiste, p. 244.)
  45. « Cette théorie est expliquée en ces termes par Cudworth : « Princeps hypostasis sæpe huic generi dicitur Ἕν πρὸ πάντων (Hen pro pantôn), Unum ante omnia, unitas nimirum simplicissima, quæ res omnes efficienter continet, et, uti Plotinus loquitur [Enn. V, lib. iii, § 15], sic habet omnia tanquam non dum inter se discreta, quum in secunda ratione discernantur ; id est, reapse distincta sint in speciebus suis, etiamsi primum principium simplex et secunda sit rerum omnium potentia. Idcirco alteram hypostasin Parmenides vocat Ἕν πάντα (En panta), Unum quod est omnia, seu quod omnes rerum species complectitur ; qui etiam philosophus, id quod Plotinus testatur, tertiam personam Ἕν ϰαὶ πάντα (Hen kai panta), Unum et omnia (proprie ἕν ϰαὶ πολλά, Unum et multa) vocavit, ut plus eam habere vicissitudinis et multitudinis significaret. » (Systema intellectuale, IV, 36, p. 689.)
  46. Enn. II, liv. VII, § 7 ; t. II, p. 203. Il faut rapprocher de ce passage les lignes suivantes où Simplicius expose la doctrine d’Anaxagore sur ce point : « L’Intelligence est quelque chose que ce soit ; elle est pleinement et actuellement ; elle est où sont toutes les autres choses ; elle est dans le principe qui embrasse la multiplicité [des êtres] et qui donne l’unité soit aux choses composées [aux corps], soit aux choses divisées [aux éléments].» (Comm. sur la Physique d’Aristote, fol. 33.)
  47. Voy. Enn. II, liv. I, § 2 ; t. I, p. 145.
  48. Cette phrase est citée par saint Cyrille, Contre Julien, II, p. 67. Voy. Enn. II, liv. IV ; t. II, p. 203.
  49. Voy. Aristote, Métaphysique, XII, 7.
  50. Voy. Aristote, Métaphysique, XII, 8.
  51. Expression employée par Platon dans l’Alcibiade, p. 36.
  52. Voy. Enn. I, liv. I, § 9 ; t. I, p. 46.
  53. Voy. le passage du Timée cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 360.
  54. Voy. Platon, Phèdre.
  55. Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 381-383.
  56. Voy. Enn. III, liv. VI, § 5 ; t. II, p. 135.
  57. Voy. ci-après le livre iii, § 3. Le P. Thomassin cite ce passage et le commente ainsi : « Hinc animus noster de bonis, de justis, de pulchris, de veris semper ratiocinatur, nec posset tamen nisi horum ideas, quæ æternæ haud dubie et immutabiles sunt, semper sibi obversantes contemplaretur, ex eisque tanquam regulis de singularibus judicando definiret. Sic ergo dum singularia et mutabilia judicat et dispensat, universales et immutabiles regulas ac ideas in intelligibili mundo regnantes contuetur ; sic non tota illinc abest, nec tota hic adest ; sic non tota illinc huc descendit. » (Dogmata theologica, t. I, p. 19.)
  58. Voy. le développement de cette comparaison dans l’Enn. III, liv. VIII, § 7 ; t. II, p. 225.
  59. Voy. les passages de saint Augustin et de Bossuet cités dans les Éclaircissements du tome I, p. 330, notes 1 et 2
  60. Sur la conscience, Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 352-355.
  61. « Neque nos corpora sumus ; nec ego tibi haec dicens corpori tuo dico. Quum igitur nosce te dicit, hoc dicit : nosce animum tuum. Nam corpus quidcm quasi vas est aut aliquod animî receptaculum ; ab animo autem quidquid agitur, id agitur a te. » (Cicéron, Tusculanes, I, 22.)
  62. Voy. Enn. I, liv. IV, § 9 ; t. I, p. 85.