Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
TROISIÈME ENNÉADE.

que l’homme vicieux soit beau et que l’homme vertueux soit laid ?

Cependant [dira-t-on], il semble que la convenance, l’ordre, la justice réclamaient le contraire de ce qui a lieu maintenant ; une sage Providence aurait dû le faire. En outre, que les méchants soient les maîtres et les chefs des états, que les bons au contraire soient esclaves, ce n’est pas une chose convenable, quand même elle n’aurait pas d’importance pour la vertu ni pour le vice : car un mauvais prince commet les plus grands crimes. Enfin, les méchants sont vainqueurs dans les combats et font subir à leurs prisonniers les derniers outrages[1]. On est ainsi amené à se demander comment de tels faits peuvent avoir lieu s’il y a une Providence divine. En effet, quoique, dans la production d’une œuvre, il faille considérer surtout l’ensemble, cependant les parties doivent obtenir aussi ce qui leur est nécessaire, surtout quand elles sont animées, vivantes, raisonnables ; il est juste que la Providence divine s’étende à tout, puisque son devoir est précisément de ne rien négliger[2].

Si, en présence de ces objections, nous affirmons encore que le monde sensible dépend de l’Intelligence suprême, que la puissance de celle-ci pénètre partout[3], nous devons essayer de montrer que tout est bien ici-bas.

    vous retranchez ceux qui sont corporels et extérieurs, le bonheur subsistera néanmoins : car la vertu toute seule suffit pour rendre heureux. Tout homme vertueux est donc heureux ; et tout méchant est malheureux. quand bien même il posséderait tous les dons de la fortune. » (De La Nature de l’homme, chap. xliv, p. 259 de la trad. de M. Thibault.)

  1. Les objections que Plotin pose dans le § 6 et la solution qu’il en donne dans le § 8 ont été reproduites et développées par Proclus (De decem Dubitationibus circa Providentiam, 6 ; t. I, p. 131, éd. de M. Cousin).
  2. Voy. Gennade, De la Providence, iv.
  3. « Nullum aliud habet negotium quæ vera et, ut ita dicam, germana philosophia est, quam ut doceat quod sit omnium rerum principium