Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
LIVRE DEUXIÈME.

des astres. On s’étonne de voir l’injustice régner ici-bas, parce qu’on regarde l’homme comme l’être le plus vénérable et le plus sage de l’univers. Cependant, cet être si vénérable ne tient que le milieu entre les dieux et les bêtes, inclinant tantôt vers les uns, tantôt vers les autres. Certains hommes ressemblent aux dieux, d’autres ressemblent aux bêtes : mais la plupart tiennent le milieu entre les deux natures[1].

C’est à ceux qui occupent cette place moyenne que les hommes dépravés, qui se rapprochent des bêtes féroces, font subir leurs rapines et leurs violences. Quoique les premiers vaillent mieux que ceux dont ils subissent les violences, ils sont cependant dominés par eux parce qu’ils leur sont inférieurs sous d’autres rapports, qu’ils manquent de courage et qu’ils ne se sont pas préparés à résister aux attaques[2]. Si des enfants qui auraient fortifié leur corps par l’exercice, mais qui auraient laissé leur âme croupir dans l’ignorance, l’emportaient à la lutte sur ceux de leurs camarades qui n’auraient exercé ni leur corps, ni leur âme ; s’ils leur ravissaient leurs aliments et leurs habits moelleux, y aurait-il autre chose à faire qu’à en rire ? Comment le législateur aurait-il eu tort de permettre que les vaincus portassent la peine de leur lâcheté et de leur mollesse, si, négligeant les exercices gymnastiques qui leur

  1. Montaigne dit à ce sujet : « Ma conscience se contente de soi, non comme de la conscience d’un ange ou d’un cheval, mais comme de la conscience d’un homme. » (Essais, III, 2, p. 180, éd. de M. J.-V. Le Clerc.) Pascal en a tiré cette pensée : « L’homme n’est ni ange ni bête. » (Pensées, p. 106. éd. de M. Havet.)
  2. Dans son discours au sénat contre les complices de Catilina, le stoïcien Caton d’Utique développe une idée analogue : « Per Deos immortales, vos ego appello qui semper domos, villas, signa, tabulas vestras, pluris quam rempublicam fecistis ; si ista, cujuscunque modi sint, retinere ; si voluptatibus vestris otium præbere vultis, expergiscimini aliquando et capessite rempublicam. » (Salluste, Conjuration de Catilina, 52.)