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CINQUIÈME ENNÉADE.


pensée. Ce qui est souverainement simple et souverainement absolu n’a besoin de rien. L’absolu qui n’occupe que le second rang a besoin de soi-même, a par conséquent besoin de se penser soi-même : en effet, puisque l’Intelligence a besoin de quelque chose relativement à elle-même, elle n’arrive à satisfaire ce besoin, par conséquent, à être absolue, qu’en se possédant tout entière ; elle ne se suffit à elle-même qu’en unissant tous les éléments dont son essence est constituée, qu’en habitant en elle-même, qu’en restant tournée vers elle-même pendant qu’elle pense : car la conscience (συναίσθησις (sunaisthêsis)) est la science de quelque chose de multiple (πολλοῦ τινος αἴσθησις (pollou tinos aisthêsis)), comme l’indique l’étymologie du mot même (συν-αίσθησις (sun-aisthêsis), con-science). Si la pensée suprême a lieu par la conversion de l’Intelligence vers elle-même, c’est évidemment qu’elle est multiple. Ne dirait-elle que ceci : je suis être ὄν εἰμί (on eimi)), elle le dirait comme si elle faisait une découverte, et elle aurait raison, parce que l’être est multiple. Quand même elle s’appliquerait à ce qui est simple et dirait : je suis être, il n’en résulterait pas qu’elle se saisit elle-même ni qu’elle saisit l’être. En effet, quand elle parle de l’être conformément à la réalité, elle n’en parle pas comme d’une pierre, mais elle énonce en un seul mot une chose multiple. L’être qui mérite vraiment et essentiellement le nom d’être, au lieu de n’en avoir qu’un vestige qui ne serait pas l’être et qui n’en offrirait qu’une image, l’être, dis-je, est une chose multiple. Quoi donc ? chacun des éléments de cette chose multiple ne sera-t-il pas pensé ? Sans doute vous ne pourrez le penser si vous le prenez seul et séparé des autres ; mais l’être même est en lui-même une chose multiple. Quel que soit l’objet que vous nommiez, il possède l’être. Il en résulte que Celui qui est souverainement simple ne peut se penser lui-même ; s’il se pensait, il serait quelque part [ce qui n’est pas]. Donc il ne pense pas et il ne peut être saisi par la pensée.

XIV. Comment se fait-il alors que nous parlions de lui ?