Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
90
CINQUIÈME ENNÉADE.


bien est au contraire plus ancien ; il n’exige aucune connaissance préalable. Cela montre que le bien est antérieur et supérieur au beau. En outre, tous les hommes sont satisfaits dès qu’ils possèdent le bien : ils se croient arrivés à leur fin. Mais tous ne croient pas que le beau leur suffise : ils pensent que le beau est beau pour lui-même plutôt que pour eux, comme la beauté d’un individu n’est un avantage que pour lui seul. Enfin, la plupart sont contents de paraître beaux, ne le fussent-ils pas réellement ; mais il ne leur suffit pas de paraître posséder le bien, ils veulent le posséder réellement. En effet, tous désirent avoir ce qui tient le premier rang ; mais ils luttent, ils rivalisent avec le beau dans l’opinion qu’il est né comme eux. Ils ressemblent à une personne qui se prétendrait l’égale d’une autre personne qui tient le premier rang après le roi parce qu’elle en dépend aussi ; elle ignore que si elle dépend également du roi, elle est inférieure à l’autre dans l’ordre de la hiérarchie[1] : la cause de cette erreur, c’est que toutes deux participent d’un même principe, que l’Un leur est supérieur à toutes deux, qu’enfin le bien n’a pas besoin du beau, tandis que le beau a besoin du bien[2]. Le bien est doux, calme, plein de délices ; nous en jouissons comme nous le voulons. Le beau, au contraire, frappe l’âme de stupeur, l’agite et mêle la peine au plaisir. Il nous éloigne souvent du bien à notre insu, comme un objet aimé sépare un fils d’un père. Le bien est plus ancien que le beau, non dans le temps, mais dans la réalité ; il a d’ailleurs une puissance qui est supérieure, parce qu’elle n’a pas de bornes. Ce qui lui est inférieur, au lieu d’avoir une puissance sans bornes, ne possède qu’une puissance inférieure et dépendante. Dieu est donc maître même de la puissance qui est inférieure à la sienne ; il n’a pas besoin des choses qu’il a

  1. Voy. ci-dessus, § 3, p. 75.
  2. Voy. Enn. I, liv. VI, fin ; t. I, p. 113.