Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
CINQUIÈME ENNÉADE.


qui soit intelligible pour l’Intelligence, mais qui en elle-même ne soit aucunement intelligence ni intelligible. En effet, ce qui est intelligible est intelligible pour un autre. Quant à l’Intelligence, le pouvoir qu’elle a de penser est tout à fait vain si elle ne perçoit et ne saisit l’intelligible qu’elle pense : car elle ne peut penser si elle n’a un objet à penser, et elle n’est parfaite que quand elle le possède. Or, elle doit, avant de penser, être parfaite par elle-même dans son essence. Donc le principe par lequel l’Intelligence est parfaite doit lui-même être ce qu’il est avant de penser : par conséquent, il n’a pas besoin de penser, puisqu’avant de penser il se suffit à lui-même. Il ne pensera donc pas[1].

Il résulte de là que le premier principe [l’Un] ne pense pas ; le second [l’Intelligence] est le premier principe pensant ; le troisième [l’Âme] est le second principe pensant. Si le premier principe pensait, il posséderait un attribut ; par suite, au lieu d’occuper le premier rang, il n’occuperait que le second ; au lieu d’être un, il serait multiple, il serait toutes les choses qu’il penserait : car se bornât-il à se penser lui-même, il serait déjà multiple.

III. Rien, dira-t-on, n’empêche que le premier principe ne soit à la fois identique et multiple. — Nous répondrons qu’au multiple il faut un sujet un. Le multiple ne peut exister sans l’Un de qui il provient et en qui il est, sans l’Un qui est compté le Premier en dehors des autres choses et qu’il ne faut considérer qu’en lui-même. Si l’on prétend qu’il coexiste avec les autres choses, il n’en faut pas moins, tout en le prenant avec les autres choses avec lesquelles on suppose qu’il coexiste, le regarder comme différent d’elles, par conséquent, ne pas le considérer comme coexistant avec les autres choses, mais admettre qu’il en est le sujet (τὸ ὑποϰείμενον (hupokeimenon)) et qu’il existe en lui-même au lieu de coexister avec les autres choses dont il est le sujet.

  1. Voy. ci-dessus, liv. III, § 12-17, p. 53-63.