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CINQUIÈME ENNÉADE.


cipait à l’art. C’est donc dans l’Art qu’existait cette beauté supérieure : elle ne saurait s’incorporer à la pierre ; demeurant en elle-même, elle a engendré une forme inférieure, qui, en passant dans la matière, n’a pu ni conserver sa pureté, ni répondre complètement à la volonté de l’artiste, et n’a plus d’autre perfection que celle que comporte la matière. Si l’Art réussit à produire des œuvres qui soient conformes à son essence constitutive (sa nature étant de produire le beau), il a encore, par la possession de la beauté qui lui est essentielle, une beauté plus grande et plus véritable que celle qui passe dans les objets extérieurs. En effet, comme toute forme s’étend en passant dans la matière, elle est plus faible que celle qui demeure une. Tout ce qui s’étend s’éloigne de soi-même, comme le font la force, la chaleur, et en général toute propriété ; il en est de même de la beauté. Tout principe créateur est toujours supérieur à la chose créée : ce n’est pas la privation de la musique, mais c’est la musique même qui crée le musicien ; c’est la musique intelligible qui crée la musique sensible. Si l’on cherche à rabaisser les arts en disant que pour créer ils imitent la nature, nous répondrons d’abord que les natures des êtres sont elles-mêmes les images d’autres essences ; ensuite que les arts ne se bornent pas à imiter les objets qui s’offrent à nos regards, mais qu’ils remontent jusqu’aux raisons [idéales] dont dérive la nature des objets ; enfin, qu’ils créent beaucoup de choses par eux-mêmes, et qu’ils ajoutent ce qui manque à la perfection de l’objet, parce qu’ils possèdent en eux-mêmes la beauté. Phidias semble avoir représenté Jupiter sans jeter nul regard sur les choses sensibles, en le concevant tel qu’il nous apparaîtrait s’il se révélait jamais à nos yeux[1].

  1. On peut rapprocher de cette phrase de Plotin ce beau passage de Cicéron sur la conception de l’idéal : « Sed ego sic statuo, nihil esse in ullo genere tam pulchrum, quo non pelchrius id sit unde