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CINQUIÈME ENNÉADE.


tout entières, aussi longtemps du moins qu’elles ne s’en éloignent pas.

Voilà ce que contemple Jupiter, ainsi que tous ceux d’entre nous qui partagent son amour pour ce spectacle. La dernière chose qui apparaisse alors est la beauté qui brille tout entière dans les essences ainsi que dans ceux qui y participent. Car tout brille dans le monde intelligible, et, en couvrant de splendeur ceux qui le contemplent, les fait paraître beaux eux-mêmes. Ainsi, des hommes qui ont gravi une haute montagne brillent tout à coup, au sommet, de la couleur dorée reflétée par le sol. Or la couleur qui revêt le monde intelligible, c’est la beauté qui s’y épanouit dans sa fleur, ou plutôt, tout est couleur, tout est beauté dans ses profondeurs les plus intimes : car la beauté, dans le monde intelligible, n’est pas une fleur qui s’épanouisse seulement à la surface. Ceux qui n’embrassent pas l’ensemble ne jugent beau que ce qui frappe leurs regards ; mais ceux qui, semblables à des hommes enivrés par ce doux nectar[1], ont leur âme pénétrée par la beauté du monde intelligible ne sont plus de simples spectateurs : l’objet contemplé et l’âme qui le contemple ne sont plus alors deux choses extérieures l’une à l’autre ; si l’âme a un regard pénétrant, elle trouve en elle-même l’objet qu’elle contemple ; souvent elle le possède sans le savoir ; alors, elle le contemple comme elle contemplerait un objet extérieur, parce qu’elle cherche à le voir de la même façon. Toutes les fois que l’on considère une chose comme un spectacle, on la voit hors de soi. Or, il faut transporter en soi-même le spectacle du monde intelligible, le contem-

  1. « Après avoir ainsi contemplé toutes les essences et s’en être abondamment nourrie, la pensée replonge dans l’intérieur du ciel et revient au palais divin ; aussitôt quelle arrive, le cocher conduisant les coursiers à la crèche répand devant eux l’ambroisie et leur verse le nectar. » (Platon, Phèdre, trad. de M. Cousin, t. VI, p. 51.)