Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LIVRE NEUVIÈME.

DE L’INTELLIGENCE, DES IDÉES ET DE L’ÊTRE[1].

I. Les hommes, dès leur naissance, exercent leurs sens plus tôt que leur intelligence[2], et sont forcés par la nécessité d’accorder d’abord leur attention aux objets sensibles. Il en est qui s’arrêtent là, et qui passent leur vie sans chercher plus loin : ils regardent la souffrance comme le mal, le plaisir comme le bien, jugent qu’il faut éviter l’un et rechercher l’autre ; c’est en cela que font consister la sagesse ceux d’entre eux qui se piquent d’être raisonnables, semblables à ces oiseaux pesants, qui, s’étant alourdis en empruntant trop à la terre, ne peuvent prendre leur essor, quoiqu’ils aient reçu des ailes de la nature. Il en est d’autres qui se sont élevés un peu au-dessus des objets terrestres, parce que leur âme, douée d’une nature meilleure, se détache de la volupté pour chercher quelque chose de supérieur[3] ; mais, comme ils ne sont pas capables d’arriver à contempler l’intelligible et qu’ils ne savent où prendre pied après avoir quitté la région d’ici-bas, ils en reviennent à faire consister la vertu dans ces actions et ces occupations vulgaires dont ils avaient d’abord tenté de dépasser la sphère étroite. Enfin, une troisième espèce comprend ces hommes divins qui, doués d’une vue perçante, considèrent avec un regard pénétrant l’éclat du

  1. Pour les Remarques générales, Voy. les Éclaircissements sur ce livre, à la fin du volume.
  2. Voy. Platon, Phédon, p. 81.
  3. Voy. la même idée dans l’Ennéade I, liv. VI, § 8 ; t. I, p. 111.