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CINQUIÈME ENNÉADE.


comme le croit le vulgaire, parce que les objets sensibles ne sauraient être les premiers dans aucun genre. La forme qui est dans leur matière n’est que le simulacre de l’être ; or, toute forme qui est dans une chose autre qu’elle-même y est mise par un principe supérieur et en est l’image. Enfin, s’il est nécessaire que l’Intelligence soit la puissance créatrice de l’univers, elle ne saurait, en le créant, penser les êtres comme existant dans ce qui n’existe pas encore. Les intelligibles doivent donc exister antérieurement au monde, n’être pas des images des choses sensibles, être au contraire leurs archétypes et constituer l’essence de l’Intelligence. Dira-t-on qu’il suffit des raisons [séminales] ? Ces raisons seront sans doute éternelles ; or, si elles sont éternelles et impassibles, elles doivent exister dans l’Intelligence dont nous avons décrit les caractères, Intelligence qui est antérieure à l’habitude[1], à la nature et à l’âme[2], parce que ces choses sont en puissance.

L’Intelligence est donc essentiellement les êtres, et, quand elle les pense, ils ne sont pas hors d’elle ; ils ne lui sont ni antérieurs, ni postérieurs. L’Intelligence est le premier législateur, ou plutôt elle est la loi même de l’existence. On a donc eu raison de dire : « La pensée est la même chose que l’être[3]. » La science des choses immatérielles est identique à ces choses mêmes. C’est pourquoi je me reconnais moi-même pour un être et j’ai des réminiscences des choses intelligibles. En effet, aucun des êtres n’est hors de l’Intelligence, n’est renfermé dans un lieu : tous subsistent toujours en eux-mêmes immuables et indestructibles ; c’est pour cela qu’ils sont réellement êtres ; s’ils naissaient et périssaient, ils ne posséderaient l’existence que d’une manière adventice, ils ne seraient plus êtres ;

  1. Sur le sens du mot habitude, Voy. notre tome I, p. 221, note 3.
  2. Voy. Enn. IV, liv. VII, n° 14 ; t. II, p. 457-459.
  3. Ce vers de Parménide a déjà été cité ci-dessus liv. I, § 8, p. 19, note 2.