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LIVRE CINQUIÈME.

union, dira-t-on, ne saurait avoir lieu pour des essences. — Oui, répondrons-nous, mais seulement si l’on ose supposer que les essences véritables sont des masses corporelles.

XI. Comment l’intelligible, qui n’a point d’étendue, peut-il pénétrer dans tout le corps de l’univers, qui a tant d’étendue ? Comment reste-t-il un et identique et ne se fragmente-t-il pas ? C’est la question que nous avons déjà soulevée plusieurs fois, et nous avons cherché à y faire une réponse qui ne laissât aucune incertitude sur ce sujet[1]. Nous avons souvent démontré que les choses sont ainsi ; cependant il est bon d’en donner encore quelques preuves convaincantes, quoique nous ayons déjà donné la démonstration la plus forte, la plus évidente, en enseignant quelle est la nature de l’intelligible, en expliquant qu’elle ne ressemble pas à une vaste masse, à une énorme pierre qui, placée dans l’espace, y occuperait une étendue déterminée par sa propre grandeur, et serait incapable d’en dépasser les limites : car sa masse et sa puissance auraient pour mesure sa propre nature, qui est d’être une pierre. L’Être intelligible, au contraire, étant la nature première, n’a pas d’étendue mesurée ni limitée, parce qu’il est lui-même la mesure de la nature sensible, qu’il est la puissance universelle sans nulle grandeur déterminée. Il n’est pas non plus dans le temps, parce que le temps se divise continuellement en intervalles, tandis que l’éternité demeure dans son identité, domine et surpasse le temps par sa puissance perpétuelle, quoique celui-ci paraisse avoir un cours illimité[2]. On peut comparer le temps à une ligne qui, tout en s’étendant indéfiniment, dépend toujours d’un point et tourne autour de lui, en sorte que, quel que soit l’endroit où elle s’avance, elle laisse toujours apercevoir en elle ce point immobile autour duquel elle se meut circulairement.

  1. Voy. encore ci-après liv. vii, § 40.
  2. Voy. Enn. III, liv. VII, De l’Éternité et du Temps.