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SIXIÈME ENNÉADE.

Nous demanderons à notre tour si Dieu a donné les organes à des âmes qui déjà possédaient les sens, ou bien s’il a donné aux âmes à la fois les sens et les organes. S’il leur a donné à la fois les sens et les organes, il s’ensuivrait qu’elles ne possédaient pas auparavant les facultés sensitives, quoiqu’elles fussent des âmes. Mais si les âmes possédaient les facultés sensitives dès qu’elles furent produites, et si elles furent produites [avec ces facultés] pour descendre dans la génération, il leur est naturel de descendre dans la génération. Dans ce cas, il semble qu’il soit contraire à leur nature de s’écarter de la génération et de vivre dans le monde intelligible. Elles paraîtraient donc faites pour appartenir au corps et pour vivre dans le mal. Ainsi, la Providence divine les retiendrait dans le mal, et Dieu arriverait à ce résultat par le raisonnement ; dans tous les cas, il raisonnerait.

Si Dieu raisonne, nous demanderons quels sont les principes de ce raisonnement : car, si l’on prétend que ces principes dérivent d’un autre raisonnement, il faut cependant, en remontant, trouver quelque chose d’antérieur à tout raisonnement, en un mot un point de départ. Or d’où sont tirés les principes du raisonnement ? Des sens ou de l’intelligence. [Dieu aurait-il fait usage de principes tirés des sens ?] Mais, [quand Dieu créa] il n’y avait pas encore de sens ; c’est donc de principes tirés de l’intelligence [que Dieu aurait fait usage]. Mais, si les prémisses étaient des conceptions de l’intelligence, la conclusion devait être la science, et le raisonnement ne pouvait avoir pour objet une chose sensible : car le raisonnement qui a pour principe l’intelligible et pour conclusion également l’intelligible[1] ne saurait aboutir[2]

  1. Creuzer lit : οὐ γὰρ ἀρχὴ μέν ἐϰ τοῦ νοητοῦ, τελευτὴ δὲ εἴς [μὴ] νο ? ητόν[illisible] (ou gar archê men ek tou noêtou, teleutê de eis [mê] no ? êton[illisible]), et M. Kirchhoff : οὖ γὰρ ἀρχὴ μὲν ἐϰ τοῦ νοητοῦ, τελευτὴ δὲ εἰς νο ? ητόν[illisible] (ou gar archê men ek tou noêtou teleutê de eis no ? êton[illisible]). Le sens est le même dans les deux cas.
  2. Ficin paraît avoir lu : πῶς ἔνι ταύτην τὴν ἕξιν πρὸ αἰσθητοῦ ϰαὶ διανόησιν ἀφιϰνεισθαι (pôs eni tautê tên hexin pro aisthètou kai dianoêsin aphikneisthai) ; au lieu de : πρὸς αἰσθητοῦ ϰαὶ διανόησιν (pros aisthêtou kai dianoêsin), que donnent Creuzer et Kirchhoff.