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SIXIÈME ENNÉADE, LIVRE VI.


gibles. La matière embrasse de tous côtés l’idée, sans la toucher, et, en s’approchant d’elle, reçoit d’elle dans tout son ensemble ce qu’elle est capable d’en recevoir, sans que l’idée cesse d’exister en elle-même ou ait une extension locale. Ainsi l’idée est une, identique, indivisible, existe tout entière partout.

(IX) Qu’on se représente toutes les choses qui existent ramenées à une seule sphère : elle sera produite par un principe unique qui la tiendra suspendue à lui sans se répandre en elle. Ainsi, tout dépend d’une seule vie, et toutes les âmes ne sont qu’une seule Âme infinie, présente dans tout le monde pour la vivifier, quelle qu’en soit l’étendue. Par cela même qu’elle est une unité absolument simple, elle n’est susceptible ni d’augmentation ni de diminution. Et comme cette unité constitue son essence, l’Âme doit contenir aussi dans sa puissance la nature qui lui est opposée, être ainsi à la fois infinie et multiple. Aussi est-elle le principe sur lequel sont édifiées toutes les choses qui se trouvent dans l’espace.

(X) Les trois principes du monde intelligible, l’Âme universelle, l’Intelligence et le Bien, ont pour notre âme un puissant attrait. Par sa beauté, l’Intelligence excite notre amour ; son unité et son universalité lui permettent de se communiquer à tous à la fois sans se donner à aucun exclusivement. De même, le Bien se laisse voir et embrasser par nos âmes quand nous nous identifions à lui par ce qu’il y a d’intelligible dans notre être.

(XI-XII) Pour concevoir comment peut s’établir une relation entre ce vaste corps du monde et l’Être intelligible qui n’a pas d’étendue, il faut considérer la nature de l’Être intelligible. Puisqu’il n’est pas une quantité, il est hors du temps et de l’espace ; il possède à la fois l’ubiquité et l’éternité. L’éternité, qui est la puissance infinie de l’être identique et immuable, engendre le temps qui est incapable de l’égaler par son cours, parce qu’il implique succession. De même, l’ubiquité engendre et surpasse en grandeur l’espace parce qu’il est divisible. Le rapport du monde intelligible au monde sensible est un rapport de présence. La Vie simple et universelle est partout présente, infinie, éternelle. Pour la saisir, il faut par la pensée embrasser la totalité des choses, se séparer des éléments qui limitent l’Être en le particularisant, en un mot, devenir universel ; il faut fixer ses regards sur le principe toujours présent, mais souvent invisible, parce qu’on est distrait de sa contemplation. Si sa présence n’est pas toujours remarquée, elle n’en est pas moins efficace. Tout se tourne vers la source de l’existence ; les cités, la terre, le ciel, la mer, tout est vivifié et animé par sa puissance.


LIVRE SIXIÈME.
DES NOMBRES.

(I) Lorsqu’on étudie la nature des nombres, une des premières questions qui se présentent à l’esprit est celle de savoir si la multitude consiste dans l’éloignement de l’unité, et si l’infinité est cet éloignement porté à ses dernières limites.