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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/531

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SIXIÈME ENNÉADE.

aucune forme. L’amour qu’il inspire est immense : cet amour est sans bornes, parce que son objet n’en a pas ; il est infini, parce que la beauté de son objet dépasse toute beauté. N’étant aucun être, comment Dieu pourrait-il être une beauté déterminée ? Comme objet suprême de l’amour, il est le créateur de la beauté[1]. Puissance génératrice de tout ce qui est beau, il est en même temps la fleur où s’épanouit la beauté[2] : car il la produit et la rend plus belle encore par la surabondance de beauté qu’il verse sur elle. Il est donc à la fois le principe et le terme de la beauté[3]. Principe de la beauté, il rend beau ce dont il est le principe ; mais ce n’est pas par la forme qu’il le rend beau ; ce qu’il produit n’a pas de forme, ou, pour mieux dire, a une forme dans un autre sens que le sens habituel de ce mot : car la forme qui n’est que forme est un simple attribut d’une substance, tandis que la Forme qui subsiste en elle-même est quelque chose de supérieur à la forme. Ainsi, ce qui participe à la beauté a une forme ; la Beauté même n’en a pas.

XXXIII. Quand nous parlons de Beauté absolue, il faut donc nous éloigner de toute forme déterminée, ne nous en mettre aucune sous les yeux ; sinon, nous nous exposerions à descendre de la Beauté absolue à une chose qui ne mérite le nom de belle qu’en vertu d’une obscure et faible participation[4], tandis que la Beauté absolue est une idée sans forme (εἶδος ἄμορφον (eidos amorphon)), si l’on admet toutefois qu’elle soit une idée. Ainsi, c’est par l’abstraction que vous vous rappro-

  1. « Seule la beauté a reçu en partage d’être à la fois la chose la plus manifeste comme la plus aimable. » (Platon, Phèdre, trad. de M. Cousin, t. VI, p. 68.)
  2. Cette phrase rappelle cette expression de Platon : « Dès que la fleur de la beauté qu’il aimait est passée, vous le voyez qui s’envole ailleurs. » (Banquet, trad. de M. Cousin, t. VI, p. 261.)
  3. Voy. Enn. I, liv. VI, § 9 ; t. I, p. 112-113. Ce passage de Plotin est cité et commenté par le P. Thomassin, Dogmata theologica, t. I, p. 168.
  4. Voy. Enn. I, liv. VI, § 8 ; t. I, p. 110.