Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
482
SIXIÈME ENNÉADE.

hors de Celui qui est au-dessus de tout : car, en étant ce qu’il est, il se suffit à lui-même et à tout le reste.

XXXVIII. On ne doit même pas dire du Premier : Il est (il n’en a pas besoin), puisque nous ne disons pas non plus de lui : Il est bon. On dit Il est bon du même principe dont on dit Il est. Or Il est ne convient à Dieu qu’à la condition qu’on ne lui donne pas quelque attribut, mais qu’on se borne à indiquer ce qu’il est. Nous disons de lui : le Bien, non pour lui assigner une qualité, un attribut, mais pour faire connaître qu’il est le Bien même. Ensuite, comme nous n’approuvons même pas cette expression : Il est le Bien, que nous ne croyons pas qu’on doive énoncer quoi que ce soit avant ce terme de Bien, que d’ailleurs nous ne pouvons exprimer le Bien complètement, nous retranchons tout afin de ne pas introduire en lui quelque diversité, et comme il n’y a plus même besoin qu’on dise : Il est, nous l’appelons simplement le Bien.

Comment, dira-t-on, admettre une nature qui n’ait ni sentiment ni connaissance d’elle-même ? — Quelle connaissance, répondrons-nous, Dieu peut-il avoir de lui-même ? Dira-t-il : Je suis ? Mais il n’est pas [dans le sens où nous venons de l’expliquer][1]. Dira-t-il : Je suis le Bien ? Alors il dira encore de lui-même : Je suis [et nous venons d’expliquer qu’on ne peut dire du Bien : Il est]. — Qu’ajoutera-t-il donc [à sa simplicité] s’il se borne à dire : le Bien ? Car on peut penser le Bien sans dire qu’il est, si l’on n’affirme pas le bien d’un autre être en qualité d’attribut. — Mais, pour se penser comme le Bien, il dira : Je suis le Bien ; sinon, il pensera le Bien, il ne pensera pas qu’il est le Bien. Ainsi, la

  1. « De même tu peux dire que les êtres intelligibles ne tiennent pas seulement du bien ce qui les rend intelligibles, mais encore leur être et leur essence, quoique le bien lui-même ne soit pas essence, mais quelque chose fort au-dessus de l’essence en dignité et en puissance. » (Platon, République, liv. VI ; trad. de M. Cousin, t. X, p. 57.)