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SIXIÈME ENNÉADE.

VI. Comment donc avons-nous rapporté précédemment la liberté à la volonté, en disant que ce qui dépend de nous est ce qui a lieu selon que nous le voulons ? — Nous avons ajouté : ou n’a pas lieu. Si donc nous sommes ici dans le vrai, et si nous sommes d’accord avec ce que nous avons avancé plus haut, nous devons reconnaître que la vertu et l’intelligence sont maîtresses d’elles-mêmes et que c’est à elles qu’il faut rapporter notre libre arbitre et notre indépendance. Puisqu’elles n’ont pas de maître, nous admettrons que l’intelligence demeure en elle-même, que la vertu veut également rester calme en elle-même en réglant l’âme pour qu’elle soit bonne, et que dans cette mesure elle est libre elle-même et elle rend l’âme libre. S’il survient des passions ou des actions nécessaires, elle les dirige sans avoir voulu qu’elles eussent lieu ; cependant elle conserve encore son indépendance en ramenant tout à elle-même. Elle ne s’occupe pas en effet des choses extérieures pour sauver le corps en danger, par exemple ; tout au contraire, elle l’abandonne, si bon lui semble ; elle ordonne à l’homme de renoncer à la vie, à ses richesses, à ses enfants, à sa patrie même : car elle a pour but de faire ce qui est honnête pour elle, et non de sauver l’existence de ce qui lui est inférieur. Ceci montre évidemment que notre liberté d’action et notre indépendance ne se rapportent point à l’activité pratique, ni aux occupations du dehors, mais à l’activité intérieure, à la pensée, à la contemplation de la vertu même. Il faut regarder cette vertu comme une espèce d’intelligence et ne pas la confondre avec les passions que domine et gouverne la raison : car celles-ci, comme le dit Platon, semblent tenir quelque chose du corps, corrigées qu’elles sont par l’habitude et par l’exercice[1].

  1. Plotin ne cite pas Platon littéralement. Il semble faire allusion au passage suivant : « Si l’âme emprunte au corps ses croyances, et partage ses plaisirs, elle est, je pense, forcée de prendre aussi