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SIXIÈME ENNÉADE.


XII. Ne dirons-nous même pas que Dieu est ce qu’il est, et qu’il est maître de ce qu’il est, ou de ce qui est supérieur encore ? L’âme soulève encore cette question, parce que ce que nous avons dit ne l’a pas encore pleinement convaincue. Voici les réflexions qu’il faut faire à ce sujet.

Par son corps, chacun de nous est éloigné de l’Essence ; mais par son âme, qui le constitue principalement, il participe à l’Essence, il est une certaine essence, c’est-à-dire il est quelque chose de composé de différence et d’essence. Nous ne sommes donc pas fondamentalement une essence, nous ne sommes pas l’Essence même ; par suite, nous ne sommes pas maîtres de notre essence[1] ; l’Essence même est plutôt maîtresse de nous, puisqu’elle nous donne la différence [qui, jointe à l’essence, constitue notre être]. Cependant, comme nous sommes dans une certaine mesure l’Essence qui est maîtresse de nous, nous pouvons sous ce rapport, même ici-bas, être appelés maîtres de nous. Pour le principe qui est absolument ce qu’il est, qui est l’Essence même[2], de telle sorte que lui et son essence ne fassent qu’un, il est maître de lui, ne dépend de rien, soit dans son existence, soit dans son essence. Il n’a même pas besoin d’être maître de lui, puisqu’il est l’Essence et que c’est à l’Essence qu’est rapporté ce qui occupe le premier rang dans le monde intelligible.

Quant à Celui qui a fait libre l’Essence, Celui dont la nature est de faire les êtres libres et qu’on pourrait appeler l’auteur de la liberté (ἐλευθεροποιός (eleutheropoios)), à qui pourrait-il être asservi (s’il est permis de se servir ici de ce terme) ? Il est libre par son essence, ou plutôt, c’est de lui que l’Essence tient d’être libre : car elle est après lui, et lui-même n’a

  1. Dans certains manuscrits il y a ici une phrase de plus : « car autre chose est l’Essence même, autre chose est notre être. Nous ne sommes donc pas maîtres de notre essence ; etc. » Cette phrase reproduite par Kirchhoff, et traduite par Ficin, a été retranchée par Creuzer. Elle nous parait ne constituer qu’une répétition inutile.
  2. Kirchhoff retranche à tort « l’Essence même ».