Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/586

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
525
LIVRE HUITIÈME.

parce que l’acte qu’il produit est inséparable de lui. Si donc l’acte de Dieu n’a pas commencé d’être, s’il est au contraire de toute éternité[1], s’il consiste dans une action vigilante (έγρήγορσις (egrêgorsis)[2]), identique à celui qui est vigilant, si de plus cette action vigilante est une supra-intellection éternelle (ὑπερνόησις ἀεὶ οὖσα (hupernoêsis aei ousa)), Dieu est ce qu’il se fait par son action vigilante. Celle-ci est supérieure à l’essence, à

  1. Nous lisons avec Kirchhoff : [εἰ οὖν μὴ γέγονε, ἀλλ' ἦν ἀεὶ ἡ ἐνέργεια αὐτοῦ] ϰαὶ οἷον ἐγρήγορσις, ϰ. τ. λ. (ei oun mê gegone, all’ ên aei hê energeia autou] kai hoion egrêgorsis, k. t. l.) Les mots que nous mettons entre crochets sont placés en note par Creuzer, parce qu’ils manquent dans un manuscrit ; mais ils ont été traduits par Ficin, et ils se rattachent fort bien à la suite des idées.
  2. Cette expression est empruntée à Aristote : « L’acte est, pour un objet, l’état opposé à la puissance… Ce sera donc l’être éveillé relativement à celui qui dort. » (Métaphysique, liv. IX, chap. 1 ; trad. fr., t. II, p. 87.) « Si l’intelligence ne pensait rien, si elle était comme un homme endormi, où serait sa dignité ? » (Métaphysique, liv. XII, chap. 9 ; trad. fr., t. II, p. 233.) « Il ne faut pas se figurer les dieux dormant comme Endymion. » (Morale à Nicomaque, liv. X, chap. 8.) Plotin lui-même dit encore dans le livre v de l’Ennéade II (§ 3 ; t. II, p. 231) : « Faut-il admettre que dans le monde intelligible tout est en acte et qu’ainsi tout est acte ? Il faut l’admettre, parce qu’on a dit avec raison que la nature intelligible est toujours éveillée (ϰαλῶς εἴρηται ἐϰείνη ἡ φύσις ἄγρυπνος εἶναι (kalôs eirêtai ekeinê hê phusis agrupnos einai)), qu’elle est une vie, une vie excellente, etc. » Dans ce dernier passage, Plotin fait allusion à une phrase du Timée de Platon (p. 52) : ταῦτα δὴ πάντα ϰαὶ τούτων ἄλλ' ἀδελφὰ ϰαὶ περὶ τὴν ἄϋπνον ϰαὶ ἀληθῶς φύσιν ὑπάρχουσαν ὑπὸ ταύτης τῆς ὀνειρώξεως οὐ δυνατοὶ γιγνόμεθα ἐγερθέντες διοριζόμενοι τάληθὲς λέγειν, ϰ. τ. λ. M.  H. Martin traduit (t. I, p. 141) : « Toutes ces pensées et d’autres semblables se confondent pour nous avec les pensées sur la nature que nous ne voyons point en rêve, mais qui existe véritablement ; et ces songes nous empêchent de les distinguer les unes des autres, comme pourraient le faire des hommes bien éveillés, et de dire la vérité, etc. » Nous ferons observer à ce sujet que, dans les lignes de l’Ennéade IV que nous venons de citer, Plotin donne un tout autre sens à l’expression de Platon φύσις ἄϋπνος (phusis aüpnos), qu’il remplace d’ailleurs par celle de φύσις (phusis) ἄγρυπνος (agrupnos), et ce sens nous paraît plus naturel que celui qu’a adopté M. H. Martin avec d’autres traducteurs de Platon.