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LIVRE HUITIÈME.

Dieu est au-dessus de l’essence[1]. Voici dans quel sens il faut interpréter cette assertion. Dieu est au-dessus de l’essence, non-seulement parce qu’il engendre l’Essence, mais encore parce qu’il n’est point dans la dépendance de l’Essence ni de lui-même[2]. Il n’a même point pour principe sa propre essence ; il est au contraire lui-même le principe de l’Essence. Or il ne l’a point faite pour lui-même, mais, l’ayant faite, il l’a laissée hors de lui, par la raison qu’il n’a pas besoin de l’existence (τὸ εἶναι (to einai)), puisqu’il est celui qui l’a faite. Ainsi, même en tant qu’il est, il ne produit point ce qu’on exprime par le verbe il est (τὸ ἔστι (to esti)).

XX. Mais, nous objectera-t-on, il résulte de ce que vous dites que Dieu a existé avant d’avoir existé : car, s’il s’est fait lui-même, d’un côté en tant que c’est lui-même qu’il a fait, il n’existait pas encore, et, d’un autre côté, en tant que c’est lui qui a fait, il existait déjà avant lui-même, puisque ce qui a été fait, c’est lui-même.

Nous répondrons à cette objection qu’il faut considérer Dieu, non en tant qu’étant fait (ποιούμενος (poioumenos)), mais en tant que faisant (ποιῶν (poiôn)), et concevoir que l’acte par lequel il s’est créé est absolu (ἀπόλυτος ποίησις (apolutos poiêsis)) : car l’acte de Dieu (ἐνέργεια αὐτοῦ (energeia autou)) n’aboutit pas à la production d’un autre être ; il ne produit rien que lui-même, il est lui tout entier ; il n’y a pas là deux choses, mais une seule. Il ne faut pas craindre d’admettre que l’acte premier (ἐνέργεια ἡ πρώτη (energeia hê prôtê)) n’a point d’essence, mais il faut considérer l’acte de Dieu comme étant son existence même (ὑπόστασις (hypostasis)). Si l’on séparait en lui l’existence d’avec l’acte, le Principe parfait par excellence serait

  1. Voy. ci-dessus, p. 482, note 1. Platon dit encore : « Quel est donc l’auteur et le père de cet univers ? C’est une grande affaire que de le découvrir, et, après l’avoir découvert il est impossible de le faire connaître à tous. » (Timée, trad. de M. H. Martin, p. 85.)
  2. « Tout ce qui est le divin même est, à cause de son unité supra-essentielle, ineffable et inconnu aux êtres du second rang. » (Proclus, Théologie élémentaire, cxxiii.)