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SIXIÈME ENNÉADE.

incomplet et imparfait. Lui ajouter l’acte, ce serait détruire son unité. Ainsi, puisque l’acte est plus parfait que l’essence, et que ce qui est premier est ce qu’il y a de plus parfait, ce qui est premier est nécessairement acte. Dès que Dieu agit, il est ce qu’il est. On ne peut dire de lui qu’il était avant de s’être fait : il n’était pas avant de s’être fait, mais il était déjà tout entier [dès qu’il agissait]. Il est donc un acte qui n’est point dans la dépendance de l’essence, un acte absolument libre ; ainsi il est Lui par lui-même. S’il était conservé dans son existence par un autre principe, il ne serait pas lui-même le Premier procédant de lui-même (πρῶτος αὐτοῦ ἐξ αὑτοῦ (prôtos autou ex autou)). Si l’on a raison de dire qu’il se contient lui-même, c’est que c’est lui qui se produit lui-même (παράγων ἑαυτόν (paragôn heauton)), puisque, ce qu’il contient naturellement, il l’a fait exister dès l’origine. S’il y avait un temps où il eût commencé d’être, on pourrait dire dans le sens propre qu’il s’est fait lui-même. Mais, puisqu’avant tous les temps il était ce qu’il est, il faut, lorsqu’on dit qu’il s’est fait lui-même, entendre par là qu’avoir fait et lui-même sont inséparables : car son être est identique à son acte créateur (τῇ ποιήσει (tê poiêsi)), et, si je puis m’exprimer ainsi, à sa génération éternelle (γεννήσει ἀϊδίῳ (gennêsei aïdiô))[1].

De même, quand on dit que Dieu se commande à lui-même (ἄρχον ἑαυτοῦ), s’il y a en lui deux choses [l’une qui commande, et l’autre qui obéit], il faut prendre cette expression au propre ; mais s’il n’y a en lui qu’une seule

  1. Cette expression a de l’analogie avec ce que Platon dit du Démiurge : « Et celui qui venait d’établir tout cet ordre restait dans son état accoutumé. » (Timée, trad. de M. H. Martin, p. 117.) Steinhart fait la remarque suivante sur l’expression de notre auteur : « Quo termino felicissime sane invento dogmatis christiani de Trinitate interpretes usos fuisse maxime quis nesciat ? Totum illum librum De Unius libertate et voluntate legat, qui cognoscere cupit quo acumine Plotinus in intimos doctrinæ de Deo recessus penetraverit. » (Meletemata plotiniana, p. 15, note.)