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SIXIÈME ENNÉADE.

tous les êtres. Il n’est point non plus l’Être : car l’Être a une forme spéciale, celle de l’Être[1], et l’Un est sans forme (ἄμορφον (amorphon)), même intelligible. Étant la nature qui engendre toutes choses, l’Un ne peut être aucune d’elles. Il n’est donc ni une certaine chose, ni quantité, ni qualité, ni intelligence, ni âme, ni ce qui se meut, ni ce qui est stable ; il n’est ni dans le lieu ni dans le temps ; mais il est l’uniforme en soi (τὸ ϰαθ’αὑτὸ μονοειδές (to kath’hauto monoeides)), ou plutôt il est sans forme (ἀνείδεον (aneideon)), il est au-dessus de toute forme, au-dessus du mouvement et de la stabilité : car tout cela appartient à l’Être et le rend multiple[2]. — Mais pourquoi n’est-il point stable, s’il ne se meut point ? — C’est qu’une de ces deux choses ou toutes les deux ensemble ne peuvent convenir qu’à l’Être. En outre, ce qui est stable est stable par la stabilité et n’est point identique à la stabilité même ; aussi ne possède-t-il la stabilité que par accident et ne demeure-t-il plus simple.

Qu’on ne vienne pas non plus nous objecter qu’en disant que l’Un est cause première, nous lui attribuons quelque chose de contingent ; c’est à nous-mêmes que nous attribuons alors la contingence, puisque c’est nous qui recevons quelque chose de l’Un, tandis que lui il demeure en lui-même.

Pour parler avec exactitude, il ne faut donc pas dire de l’Un qu’il est ceci ou cela [il ne faut lui donner ni un nom, ni un autre] ; nous ne pouvons, pour ainsi dire, que tourner autour de lui, et essayer d’exprimer ce que nous éprouvons [par rapport à lui], car tantôt nous approchons de l’Un, tantôt nous nous éloignons de lui par l’effet de notre incertitude à son égard.

IV. La cause principale de notre incertitude, c’est que la compréhension (σύνεσις (sunesis)) que nous avons de l’Un ne nous

  1. Taylor propose à tort de lire ici τοῦ ἑνός (tou henos) au lieu de τοῦ ὄντος (tou ontos).
  2. Voy. ci-dessus liv. II, § 7, p. 215.