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DES NOMBRES.

d’une puissance. Ainsi, il existe dans la nature quelque chose qui a un commencement, un milieu et une fin : les Pythagoriciens attribuèrent à cette forme le nombre trois ; c’est pourquoi ils appelaient ternaire tout ce qui a un milieu ; ils donnaient aussi ce nom à tout ce qui est parfait. Selon eux, tout ce qui est parfait a pour principe la triade et est embelli par elle. Faute de pouvoir employer un autre nom, ils se servaient de celui de triade pour élever l’esprit à la conception de ce principe. On en peut dire autant des autres nombres. Telles étaient les raisons pour lesquelles ils rangeaient dans cet ordre les nombres dont nous avons parlé ci-dessus [l’unité, la dyade et la triade]. Quant aux autres nombres, ils sont embrassés dans une seule idée et une seule puissance, que les Pythagoriciens ont nommée δεκάς (décade), comme si l’on disait δεχάς (compréhension). C’est pourquoi ils enseignent que la décade est un nombre parfait, ou plutôt qu’elle est le nombre le plus parfait de tous, qu’elle comprend et contient en elle toutes les différences des nombres, toutes les espèces de raisons et toutes les proportions. En effet, si la nature de l’univers est déterminée par les raisons et les proportions des nombres, si tout ce qui est engendré, qui s’accroît et qui arrive à son développement complet, est réglé par les raisons des nombres, si de plus la décade contient toutes les raisons, toutes les proportions et toutes les espèces de nombres, comment la décade ne serait-elle pas un nombre parfait ?

Telle était la science des nombres chez les Pythagoriciens, et c’est à cause d’elle que la philosophie des Pythagoriciens s’éteignit, d’abord parce qu’ils se servaient de symboles obscurs, ensuite parce que leurs traités étaient écrits en dorien, dialecte qui manque lui-même de clarté, enfin que les dogmes de la secte furent frappés de déconsidération, comme apocryphes ou mal interprétés, vu que ceux qui les enseignaient n’étaient pas de vrais Pythagoriciens. En outre, Platon et Aristote, Speusippe, Aristoxène et Xénocrate, au dire des Pythagoriciens, s’approprièrent ce qu’il y avait de meilleur dans les écrits de ces philosophes, avec quelques légers changements ; mais les choses vulgaires et de peu de valeur, en un mot, toutes celles qui ont été alléguées depuis par des calomniateurs pour déconsidérer et renverser la secte, ils les rassemblèrent et les attribuèrent en propre à cette école.